March 29, 2024
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Affaire Betamax – Le Privy Council condamne l’Etat mauricien

Les Law Lords ont rendu leur verdict hier.

C’est la fin d’une longue bataille entamée il y a six ans entre la compagnie Betamax et l’Etat mauricien. Hier, le Conseil privé de la reine a donné gain de cause à la compagnie de Veekram Bhunjun, qui réclamait des dommages suivant la résiliation du contrat pour le transport des produits pétroliers en 2015.

Dénouement dans l’affaire Betamax. Dans l’après-midi d’hier, lundi 14 juin, le Privy Council a rendu public son jugement et a donné gain de cause à Betamax Ltd. Selon les Law Lords, la Cour Suprême s’est trompée dans sa décision du 31 mai 2019.

Mazavaroo vous présente en premier lieu les évènements qui ont conduit à la décision prise par le Conseil privé, ainsi que les points saillants et le «ratio decidendi» des Law Lords.

De 2015 à 2019

C’est en 2015 que le gouvernement annonce la fin du contrat liant Betamax et la State Trading Corporation (STC), du fait que le contrat aurait été «illégal». Plusieurs personnalités politiques, dont Navin Ramgoolam et Anil Bachoo, avaient été arrêtées dans le cadre de l’enquête.

En 2016, la compagnie Betamax Ltd conteste la rupture subite du contrat. L’affaire est portée devant le Singapore International Arbitration Centre. La compagnie réclame Rs 5,2 milliards à l’Etat mauricien. Le centre d’arbitrage de Singapour donne gain de cause à la compagnie.

En 2017, la STC fait appel de ce verdict auprès de la Cour suprême. Le 31 mai 2019, la Cour Suprême renverse le jugement du Centre international d’arbitrage de Singapour, estimant que celui-ci n’avait pas la juridiction pour se prononcer dans cette affaire.

Ce long litige prendra fin hier, avec le jugement rendu par le Privy Council, qui condamne l’Etat Mauricien à verser Rs 4,7 milliards à la compagnie Betamax Ltd.

Jugement du Privy Council (Quelques extraits du jugement traduits en français)

  • L’appel est fondé sur l’article 39(2)(b)(ii) de la loi mauricienne sur l’arbitrage international de 2008.
  • Le litige concerne un contrat d’affrètement conclu le 27 novembre 2009 entre Betamax Ltd (“Betamax”, une société mauricienne) et la State Trading Corporation (« STC », une société publique responsable de l’importation de produits de base à Maurice).
  • Betamax Ltd a accepté de construire et d’exploiter un pétrolier et de l’utiliser pour transporter les produits pétroliers de la STC de l’Inde à Maurice.
  • Le COA (Contract of Affreightment) était régi par les lois de la République de Maurice et prévoyait un arbitrage selon les règles du Centre international d’arbitrage de Singapour.
  • Le 30 janvier 2015, un nouveau gouvernement mauricien a annoncé qu’il résilierait le COA au motif que l’attribution du contrat était contraire à la Public Procurement Act de 2006  et aux Public Procurement Regulations de 2008.
  • Le 15 mai 2015, Betamax Ltd a déposé un avis d’arbitrage contre la STC, réclamant des dommages et intérêts pour violation de la COA.
  • Le Centre international d’arbitrage de Singapour n’était pas d’accord avec la STC et a rendu une sentence en faveur de Betamax Ltd le 5 juin 2017, qui a déterminé que la COA n’avait pas été fait en violation des lois mauriciennes sur le Public Procurement et que Betamax Ltd avait droit à 115,3 millions de dollars de dommages et intérêts.
  • À la suite de la sentence, les deux parties ont saisi la Cour suprême de Maurice : Betamax Ltd pour l’exécution de la sentence ; STC pour l’annulation de la sentence pour plusieurs raisons, notamment parce que la sentence était contraire à l’ordre public mauricien (en appliquant l’article 39(2)(b)(ii) de la loi sur l’arbitrage international de 2008).
  • La Cour suprême a donné raison à la STC et a annulé la sentence.
  • La Cour suprême s’est concentrée sur la question de savoir si la COA a été rendue en violation de la loi sur l’ordre public. Elle a estimé que c’était le cas et que la COA était donc illégale ; l’illégalité était flagrante et la sentence devait donc être annulée car son exécution serait contraire à l’ordre public mauricien.
  • La Cour suprême a accordé à Betamax Ltd l’autorisation de faire appel devant le Judicial Committee du Privy Council. L’appel soulève trois questions : (1) la Cour suprême était-elle habilitée à examiner la décision de l’arbitre selon laquelle la COA ne violait pas les lois mauriciennes sur les marchés publics ; (2) si la Cour suprême était habilitée, la COA était-elle illégale ; et (3) si la COA était illégale, la sentence était-elle contraire à l’ordre public mauricien ?
  • Le Conseil Privé accueille le recours de Betamax Ltd et exécute la sentence.
  • Lord Thomas rend l’arrêt de la chambre.
  • La Cour suprême n’était pas habilitée à examiner la décision de l’arbitre sur la légalité de la COA au regard des lois mauriciennes sur les marchés publics (première question).
  • L’article 39 de la loi sur l’arbitrage international, basée sur l’article 34 de la loi, permet au tribunal de l’État devant lequel la procédure est engagée d’annuler une sentence dans certaines circonstances limitées, notamment si la sentence est contraire à l’ordre public mauricien.
  • Betamax Ltd et la STC ont convenu qu’il appartenait à la Cour suprême de déterminer la nature et l’étendue de l’ordre public de Maurice. Elles ont également convenu que si un tribunal arbitral décide qu’un accord est illégal mais rend une sentence qui exécute l’accord, la cour est en droit d’annuler la sentence en vertu de l’article 39(2)(b)(ii) de l’International Arbitration Act si elle est contraire à l’ordre public.
  • Cependant, l’arbitre avait interprété la Loi sur le Public Procurement et le Règlement sur le Public Procurement et avait décidé qu’ils ne rendaient pas la COA illégale. Betamax Ltd et la STC ont convenu devant la Commission que cette décision relevait de la compétence du Centre international d’arbitrage de Singapour.
  • Cependant, la STC a fait valoir que si le tribunal arbitral avait commis une erreur de droit quant à la légalité d’un accord dans des circonstances qui mettaient en jeu l’ordre public de Maurice, la Cour suprême était en droit de la corriger.
  • La question qui s’impose à la cour en vertu de l’article 39(2)(b)(ii) est de savoir si, sur la base des conclusions de droit et de fait faites dans la sentence, il existe un conflit entre la sentence et l’ordre public.
  • L’interprétation de la loi et du règlement sur les Public Procurement n’a donné lieu à aucune question d’ordre public – la question était simplement de savoir si la COA était exemptée de la législation sur les Public Procurement.
  • Le tribunal ne peut pas utiliser le prétexte de l’ordre public pour rouvrir des questions relatives au sens et à l’effet d’un contrat ou à sa conformité à un régime réglementaire ou législatif.
  • Le COA n’a pas enfreint les lois mauriciennes sur les Public Procurement (deuxième question)
  • En raison de la conclusion de la Commission sur la première question, les deuxième et troisième questions ne se posent pas.
  • Cependant, sur la deuxième question, le Conseil explique néanmoins pourquoi, sur l’interprétation correcte des dispositions législatives difficiles relatives à la portée des exemptions énoncées dans la loi sur le Public Procurement et les règlements sur le Public Procurement (tels qu’amendés peu avant que la COA ne soit faite), il est d’accord avec le Centre international d’arbitrage de Singapour plutôt qu’avec la Cour suprême.

Zuhayr DHUNNY