April 20, 2024
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Opinion

Drogue : un défi insurmontable ?

La saisie de 243 kg d’héroïne et 27 kg de hachisch à pointe-aux-canonniers, valant Rs 3,7 milliards à la revente pose un véritable défi au gouvernement. C’est une saisie record qui coupe le souffle et qui fait se demander à la population comment une telle quantité de drogue a pu atterrir à Maurice. Au moment, où il semblait qu’une accalmie dans la vente de la drogue était intervenue à cause des restrictions de mouvement imposées par la Covid-19, voilà que cette saisie vient brutalement nous placer devant une réalité terrible, car la drogue est étroitement associée aux drames familiaux, dont des surdoses occasionnant la mort. Comment un tel volume de drogue a pu déjouer la surveillance maritime et terrestre, voilà ce que tentent de comprendre la police et l’ICAC. Mais, ce qu’il faudra aussi démontrer, c’est que cette saisie est un acte isolé, certes important, mais sans aucune ramification au niveau des plus hautes sphères de l’État. Il faut que le gouvernement mobilise toutes ses ressources afin de démontrer que cette saisie est le résultat d’une enquête de longue haleine, témoignant des ramifications régionales et l’île Maurice n’ayant servi que d’escale.

Jack Bizlall

Intervenant sur une radio commerciale, Jack Bizlall, peu soupçonneux de sensibilité envers le gouvernement, a expliqué, à juste titre, que l’île Maurice est trop petite pour servir de marché à une telle quantité de drogue. C’est une évidence qui saute aux yeux ! Véritable business, le trafic des drogues dures et douces, repose sur la demande pour être viable. Il est plus que vraisemblable qu’en cette période post-confinement, avec une police qui est aux aguets et un marché très étroit et sans oublier les risques qu’encourent les trafiquants, la drogue était destinée à un marché plus grand. C’est là que l’enquête policière à Maurice doit rechercher le soutien des enquêteurs réunionnais pour retracer les contacts des trafiquants mauriciens et remonter jusqu’à la source, car le pavot – plus que le haschisch -, qui est un opiacé issu du pavot à opium, n’est pas cultivé à La Réunion.

Moyens et expertise

Nos seuls enquêteurs manquent certainement de moyens et d’expertise pour remonter aux sources de ce trafic. Ceux de La Réunion peuvent eux compter sur le soutien de La France, mais il manque encore d’autres aides pour parfaire cette enquête. C’est là où l’expertise des Indiens intervient, car les drogues sont suspectées de provenir du Nord de l’Inde. Les autorités indiennes connaissent parfaitement les ficelles de ce trafic qui prend ses origines près de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. L’affaire est trop grave pour que le gouvernement mauricien laisse ce dossier entre des mains « non experte », il faut rechercher le soutien réunionnais, indien et pakistanais pour remonter la filière. La drogue est une affaire nationale et les familles qui en souffrent n’ont pas de coloration partisane. Pravind Jugnauth, qui a déclaré une guerre sans merci au trafic de drogue, joue donc sa carrière. Car il ne s’agit pas de petits dealers arrêtés avec quelques grammes de cannabis ou de feuilles de papier à rouler, mais de drogues évaluées à plus de Rs 3,7 milliards.

Rapidité

Dans l’immédiat, il faut se féliciter de la rapidité avec laquelle l’Icac traite ce dossier, avec l’arrestation, le vendredi 7 mai, des belles-filles Gurroby. On peut légitimement déduire que l’enquête risque d’être longue et laborieuse, compte tenu de la quantité de drogues saisies et de la personnalité des frères Gurroby et de leurs biens. De liens importants à haut niveau, ces derniers peuvent certainement en disposer pour être en mesure de transporter une telle quantité de drogues sans être inquiétés. Pour l’heure, ni l’Icac ni la police n’ont pipé mot sur la manière dont ils sont arrivés à coincer les membres de cette famille. Y a-t-il eu une enquête de longue haleine ou est-ce une dénonciation de la part d’un ‘collègue’ qui n’aurait pas eu sa part ? Faut-il mettre cette saisie historique en rapport avec celle où est mêlé un soldat kurde ou encore la saisie de drogue en provenance de la Chine par l’entremise d’une société fictive ?

Concomitance

La concomitance de ces affaires de drogue soulève bien d’interrogations et il faut, encore une fois, saluer le travail des enquêteurs de l’Adsu, s’il s’avère que ces derniers auraient à trouver et à délier le fil qui les relie entre elles. Mais, en même temps, ils apporteraient la démonstration qu’on serait en présence du bout d’un gigantesque iceberg. Quelle que soit la taille de celui-ci et le prix à payer, le Premier ministre passera dans l’histoire pour l’avoir mis en morceaux. Au début des années 80, Sir Anerood Jugnauth était passé par une épreuve du feu similaire avec l’affaire des Amsterdam Boys, du nom de quatre de ses députés coupables d’avoir été trouvés en possession de valises remplies de drogues en Hollande. L’affaire aurait pu mettre fin à la carrière politique de SAJ, mais ce dernier a su rebondir en faisant le ménage au sein de son gouvernement. C’est en tranchant dans le vif et en mobilisant toute son énergie que Pravind, son fils, relèvera ce défi.

Dhunny Cassam