March 29, 2024
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MISSION SCIENTIFIQUE À BLENHEIM REEF – Cinq Chagossiens de retour à Peros Banhos 50 ans après

La Grande-Bretagne n’a aucun droit ni aucune revendication sur l’archipel des Chagos. Ce sont les propos du PM à la BBC.

C’est par un après-midi clair et chaud au cœur de l’océan Indien que cinq Chagossiens, dont Olivier Bancoult, Leader du Group Refusié Chagos, chassés de leur archipel isolé par les Britanniques il y a un demi-siècle, ont embrassé le sable et pleuré en marchant sur la plage de Peros Banhos, l’un des plus grands atolls qui composent les îles Chagos contestées.

« C›est un grand moment », a déclaré Olivier Bancoult avant de s›en prendre au gouvernement britannique, qu›il a qualifié de «raciste» pour avoir ignoré les demandes des Chagossiens concernant le droit de retourner vivre sur les îles. « C’est notre lieu de naissance. Comment peuvent-ils nous refuser ce droit ? » a-t-il demandé. Presque immédiatement après avoir mis pied à terre, les représentants du gouvernement mauricien ont commencé à poser une base en béton pour un mât de drapeau. « Ce n’est pas quelque chose d’inhabituel. Il est normal pour une nation d’élever un drapeau sur son territoire », a soutenu le chef de la délégation mauricienne, l’ambassadeur Jagdish Koonjul à la BBC, en faisant référence à une succession de décisions des plus hautes instances des Nations unies reconnaissant la souveraineté de Maurice sur les îles et ordonnant à la Grande-Bretagne de mettre fin à son « occupation illégale » de l’archipel.

Une jetée en béton en ruines, une voie ferrée rouillée et des bâtiments pourris envahis par les vignes et les racines des arbres témoignent de l’isolement et de l’abandon de l’île. 50 ans après l’ordre donné à sa population de quelques centaines d’habitants de partir en quelques jours. Les palmiers s’entassent dans et autour de la vieille église où Liseby Elysee, 68 ans, dit avoir été baptisée. Les Chagossiens ont rapidement entrepris de débarrasser le sol de l’église sans toit des noix de coco et autres débris. « Je suis heureuse d’être de retour mais je suis triste de devoir repartir. Je veux rester ici de façon permanente », confie Liseby Elysee.

Un voyage en larmes

Rosamonde Bertin, 67 ans, une des cinq Chagossiens de ce voyage a observé l’horizon depuis des jours. Soudain, elle a poussé un cri de joie lorsqu’un grand oiseau de mer ressemblant à un goéland – appelé «fou» dans a langue créole de l’île – a survolé le pont. « Cela veut dire que nous sommes près de la terre », lancet-elle. Une baleine a brièvement émergé des vagues gris plombs sur le côté bâbord du bateau, suivie d’un chatoiement de poissons volants argentés.

Quelques heures plus tard, soit vendredi après-midi, Rosemonde Bertin a éclaté en applaudissements lorsqu’on lui a annoncé, à l’aide d’un coup de klaxon retentissant, que le bateau sur lequel elle voyageait depuis quatre jours vers l’est avait franchi une frontière maritime invisible au fond de l’océan Indien et pénétré dans le territoire contesté des îles Chagos. « Je suis libre, s’est-elle exclamée, ravie, en levant les bras en l’air. Libre parce que c’est la première fois depuis 1972, lorsque ma famille a été chassée par la Grande-Bretagne, que je peux retourner dans l’archipel sans permission et sans que des soldats m’accompagnent. » Faisant ainsi référence aux « visites patrimoniales » organisées auparavant par le gouvernement britannique.

À côté d›elle, sa campagne de lutte Suzelle Baptiste, 57 ans, s’est mise à sangloter discrètement alors que le bateau approchait des Chagos et que ses compatriotes dansaient et faisaient la fête. « Cela signifie beaucoup pour moi », a-t-elle déclaré en larmes. Les deux femmes, ainsi que trois autres Chagossiens voyageant sur un bateau payé par le gouvernement mauricien, sont entrées dans l’histoire en tant que premières personnes à poser le pied sur leur archipel isolé sans escorte militaire britannique, et sans demander l’autorisation des Britanniques.

Je suis très fière, je n’ai demandé la permission à personne », a ajouté Rosemonde. Un demi-siècle plus tôt, elle était une jeune mariée de 17 ans et mère d’un bébé de six mois, lorsque le navire de ravitaillement Nodvaer, qui apportait des provisions de l’île Maurice à intervalle de quelques mois, s’était amarré au large de l’une des plus petites îles des Chagos, Salomon. Un responsable avait annoncé qu’il n’y avait pas de nourriture à bord. « C’était le premier signe qu’ils voulaient que nous partions », se souvient-elle. Elle a hoché vigoureusement la tête lorsque ses compatriotes ont décrit le navire vide comme la preuve que la Grande-Bretagne était occupée à commettre des crimes contre l’humanité, en expulsant de force jusqu’à 2 000 personnes de leurs foyers sur l’archipel.

En l’espace d’une semaine, Rosemonde Bertin, ses proches et l’ensemble de la population de Salomon, soit environ 300 personnes, ont emballé quelques malles en bois contenant des provisions, roulé leurs matelas et embarqué sur le Nodvaer, laissant derrière eux une vie insulaire que beaucoup décrivent comme simple et heureuse. Les fonctionnaires coloniaux britanniques ont clairement indiqué que les familles ne seraient jamais autorisées à revenir vivre sur les territoires britanniques de l’océan Indien nouvellement rebaptisés, dont une partie avait récemment été cédée en secret aux États-Unis pour servir de base militaire.

Célébration de la victoire judiciaire

Cette semaine pour la première fois dans l’histoire, le gouvernement de Maurice a envoyé un bateau dans l’archipel, affirmant ainsi de manière spectaculaire son droit de visiter ce qu’il considère comme son territoire souverain. Ce voyage est l’aboutissement d’années de batailles juridiques acharnées avec la Grande-Bretagne au sujet de la propriété des îles Chagos. Malgré l’opposition concertée du Royaume-Uni et des États-Unis, l’île Maurice a remporté une série de victoires importantes. D’abord à l’Assemblée générale des Nations unies, puis à la Cour internationale de justice des Nations unies, et enfin au tribunal des Nations unies chargé de régler les différends maritimes.

Les cartes de l’ONU indiquent désormais que le territoire est mauricien tandis que deux tribunaux internationaux ont récemment ordonné à la Grande-Bretagne de « décoloniser » l’île Maurice en renonçant officiellement à sa souveraineté sur les Chagos. « C’est miraculeux que nous soyons ici et très important pour le gouvernement mauricien qui s’est battu pour récupérer ces îles depuis l’Indépendance », a déclaré Philippe Sands, l’avocat britannique représentant le gouvernement dans sa bataille juridique avec le Royaume-Uni.

Alors que le bateau affrété, le Bleu de Nîmes, pénétrait dans le territoire maritime contesté autour des îles – que certaines cartes décrivent encore comme les territoires britanniques de l’océan Indien – la délégation mauricienne a débouché des bouteilles de champagne. « C’est un moment historique. Ce n’est pas un acte inamical. Ce n’est pas un acte hostile contre le Royaume-Uni. C’est ce que nous pensons être la bonne façon de procéder, conformément au droit international qui a clairement établi que Maurice est la puissance souveraine de l’archipel des Chagos », a déclaré Jagdish Koonjul, l’ambassadeur mauricien auprès des Nations unies.

Pravind Jugnauth confirme à la BBC

S’adressant à la BBC par satellite, le Premier ministre (PM) mauricien Pravind Jugnauth a confirmé qu’il n’avait pas l’intention de « mettre le Royaume-Uni dans l’embarras. La Grande-Bretagne « n’a aucun droit ni aucune revendication sur l’archipel des Chagos ». Le PM a déclaré : « La façon dont les Chagossiens ont été traités par le Royaume-Uni pendant des décennies, et actuellement, est clairement un crime contre l’humanité. Nous sommes du côté de la justice, du bon côté de la loi, et c’est le Royaume-Uni qui viole la loi. » Le PM mauricien avait prévu de se joindre au voyage aux Chagos mais s’était désisté à la dernière minute après le cyclone Batsirai qui a frappé l’île Maurice. Par ailleurs, dans une déclaration, le ministère britannique des Affaires étrangères a refusé de répéter les affirmations précédentes de souveraineté sur les îles, soulignant qu’il avait été informé du voyage à l’avance et qu’il ne chercherait pas à y faire obstacle. Cependant, le Foreign Office a affirmé, à tort, que le voyage visait la « protection de l’environnement », ce que l’île Maurice nie. Au contraire, l’objectif officiel est de cartographier le récif de Blenheim dans le cadre d’un conflit frontalier maritime avec les Maldives voisines. Si Maurice peut prétendre qu’une partie du récif se trouve en permanence au-dessus du niveau de la mer, elle pourrait prouver qu’elle est une île et s’approprier des milliers de kilomètres carrés d’océan supplémentaires en tant que zone économique exclusive, a déclaré Ola Oskarsson, expert maritime.

Le Royaume-Uni a supprimé toute la population des îles Chagos au début des années 1970, en cherchant à les présenter comme des travailleurs itinérants plutôt que comme une population sédentaire qui vivait sur les îles depuis des générations. Les diplomates britanniques savaient qu’il était illégal, en vertu du droit international, de diviser une colonie avant de lui accorder l’indépendance, mais ils pensaient que quelques îles inhabitées pourraient passer inaperçues. Le Royaume-Uni avait déjà conclu un accord secret avec le gouvernement américain pour louer Diego Garcia. Les autorités mauriciennes affirment que la Grande-Bretagne leur a fait du chantage pour qu’elles acceptent de céder les îles ou de renoncer au droit à l›Indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni, qu’elles ont obtenu en 1968.