April 16, 2024
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Politique

Sir Abdul Razack Mohamed : L’homme derrière l’avènement de l’indépendance de l’île Maurice

Une semaine après la fête de l’indépendance à Maurice, nous revenons sur l’un des hommes politiques qui a joué un rôle important et significatif pour l’avènement de l’indépendance à Maurice en 1968. Patriote, meneur d’homme, courageux de ses opinions, fondateur du Comité d’Action Musulman (C.A.M), premier Mauricien de foi islamique à être élu pour à l’Assemblée, maire de Port-Louis en trois occasions (1950, 1953 et 1956), deux fois ministre du logement et des terres, Sir Abdool Razack Mohammed fut un de ces acteurs politique qui occupera toujours une place dominante dans l’histoire de Maurice. Même 42 ans après sa mort, il a réussi à gagner une place dans l’histoire de notre pays et son nom restera dans les mémoires de tout un chacun comme l’un des artisans d’un île Maurice libre, démocratique et indépendante.

Il a joué un rôle majeur pour l’avènement de l’indépendance de l’île Maurice en 1968, même Sir Seewoosagur Ramgoolam avait reconnu que sans lui, l’île Maurice n’aurait pas accédé à l’indépendance. Il a mené une lutte acharnée qui a duré des décennies et qui a requis d’énormes sacrifices. En 1978, Maurice perdit un grand chef et un grand meneur d’homme. Il a toujours porté en lui le flambeau de la démocratie et du patriotisme. Il a toujours prêché l’harmonie entre les communautés, lui-même ayant été le plus grand serviteur des musulmans. Sir Abdool Razack Mohamed a rejoint la politique alors qu’il était encore dans la fleur de l’âge et a consacré son temps et son énergie à des causes qu’il considérait à la fois dans l’intérêt du pays et dans celui de ses concitoyens.

Combat pour une meilleure représentation de la communauté indo-mauricienne

Ce n’est qu’en 1940 que Abdul Razack Mohamed fit irruption dans la politique, il s’était déjà imposé comme un membre très influent et très respecté de la communauté musulmane, il deviendra par la suite candidat indépendant pour les élections municipales. Il se mettra aux côtés de Sir Seewoosagur Ramgoolam et de Goolam Atchia contre l’Union Mauricienne (UM) de Raoul Rivet et d’Edgar Laurent.

Edgar Laurent avait fait son entrée dans la vie politique de la ville dans les années 1920. Il avait été élu pour la première fois, comme conseiller municipal, grâce à l’appui de Goolam Mamode Issack, membre éminent de la communauté musulmane et du vote musulman. Plus tard, un regroupement des partis eut lieu, l’Union Mauricienne fut remplacé par un groupement de douze.

Parmi les candidats de l’Union Mauricienne, on retrouve Affazul Mamode, le seul musulman du parti qui représentait la communauté indo-mauricienne. Ce dernier n’a pas pu se faire élire, il sera le seul candidat de l’UM à ne pas se faire élire dû au fait que les Franco-Mauriciens avaient votés pour leurs représentants ethniques.

Sir Abdul Razack Mohamed va donc demander à ce que la communauté indo-mauricienne soit représenté de manière plus significative. Il deviendra alors le porte-parole de la communauté indo-mauricienne dans sa lutte pour des droits politiques et sociaux. Il sera celui que proposera à ce que Sir Seewoosagur Ramgoolam devient maire au lieu d’Edgar Laurent car la communauté hindoue n’a jamais eu de maire. De plus, cela aidera à dissiper le sentiment de malaise qui régnait comme quoi le siège de maire était réservé à seulement une communauté.

Sir Abdul Razack Mohamed aide à la conception d’une nouvelle constitution que sera promulguée en 1948. Avec l’acceptation des propositions des différents leaders politiques, dont Abdul Razack Mohamed, la liste des électeurs s’allonge. Il réalise que la nouvelle constitution de servira pas les intérêts des Musulmans en termes de représentation car les musulmans, avec une population de 16 %, éprouvent des difficultés à faire élire un seul candidat.

C’est vers cette même période que Seewoosagur Ramgoolam se joint au Parti travailliste (PTr) et commence à se battre pour l’indépendance. Bien que le PTr demande le suffrage universel, ce pour quoi Sir Abdul Razack Mohamed avait toujours lutté, ce dernier ira donner son support à Jules Koenig. Lors des municipales de 1955, Sir Abdul Razack Mohamed ne sera pas élu car les musulmans avaient voté pour le Parti Mauricien, mais les électeurs du Parti Mauriciens n’avaient pas voté pour lui. Sir Abdul Razack Mohamed prendra peu à peu ses distances de Koenig surtout après avoir constaté qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde en ce qui concerne une politique de représentation communale. Le best loser system aurait été divulgué à Sir Abdul Razack Mohamed avec le message que les autorités britanniques étaient en faveur d’un tel système. Il s’empressera de le proposer. C’est juste après que le Comité d’action musulman (CAM) est fondé.

Création du Comité d’Action Musulman (CAM)

La CAM avait pour but de rechercher des garanties adéquates pour les intérêts des musulmans et des minorités, une forme de garantie constitutionnelle qui assurerait à la communauté musulmane une représentation équitable au Parlement.

La CAM est avant tout une stratégie défensive pour la protection des intérêts, entre autres, de la communauté musulmane. Elle n’a pas donné lieu à quelconque volonté dominatrice ni agressive à l’égard des autres communautés ethniques qu’elles soient numériquement supérieures ou inférieures à la communauté musulmane. Elle n’a jamais engendré aucun réflexe de repliement sur soi ni pire encore de ghettoïsation.

Au Comité consultatif pour la révision de la Constitution mis en place par le gouverneur Donald Mackenzie Kennedy en 1945, Sir Abdul Razack Mohamed a suggéré qu’un nouveau système électoral devrait couvrir au moins 50% des sièges du Conseil de gouvernement allant aux éléments indiens. La CAM croyait dans la liberté de l’île Maurice, libérer l’île du joug colonial et que cela revenait aux mauriciens de décider de ce qu’ils voulaient faire et non aux Britanniques. Sir Abdul Razack Mohamed avait, lors de la conférence de Londres en 1965, fait ressortir que si le pays accédait à l’Indépendance, les droits des minorités devaient être respectés. Cette alliance a en effet pris forme concrète, sans aucun moment de vacillement. Il s’agissait d’un partenariat exemplaire fondé sur la sincérité de l’objectif, qui tenait bon dans les bons et les mauvais moments. Ramgoolam a béni la première réunion du CAM tenue en février 1959 par sa présence à Plaine-Verte.

Sir Abdul Razack Mohamed a déclaré lors de conférence de presse de retour de Londres et également lors de ses entretiens avec Haroun Aubdool, secrétaire de la CAM, l’objectif principal de la CAM à Lancaster House était de faire pression pour une représentation adéquate et des garanties pour les minorités lors d’une réforme.

La contribution du CAM a été essentielle pour l’élection de l’Indépendance en 1967. Le CAM menait une campagne à travers le pays pour faire comprendre aux musulmans l’importance de l’indépendance du pays. Cette campagne avait débuté juste après la tenue de la conférence de Londres. Mais il faut aussi dire que le Parti mauricien de Gaëtan Duval menait également une campagne intensive auprès de la population.

Pour les législatives de 1967, il y eu une grande alliance avec le Mauritian Labour Party (MLP) de Sir Seewoosagur Ramgoolam, le Cominté d’Action Musulman (CAM) de Sir Abdul Razack Mohamed et l’Independent Forward Block (IFB) de Sir Sookdeo Bissoondoyal. Le parti fut appelé le Parti de l’Indépendance. Les 60 billets étaient répartis entre les Parti de l’indépendance comme celui-ci ; MLP : 38, CAM : 10, IFB : 12. Les élections générales de 1967 ont simplement achevé le processus constitutionnel avec une motion déposée à l’Assemblée législative demandant l’indépendance. Quel que soit le résultat des élections générales de 1967 et celui qui aurait formé le gouvernement, la décision a été annoncée le 24 septembre 1965 : le gouvernement nouvellement formé après les prochaines élections générales devrait conduire le pays à l’indépendance

Victoire du Parti de l’indépendance sur le PMSD

Le Parti de l’indépendance (IP) a vaincu le PMSD, qui était contre l’indépendance. L’IP comprenait MLP, CAM et IFB. Environ 90% des électeurs ont voté le 7 août 1967. Préférant maintenir des liens avec le Royaume-Uni, 44% étaient contre l’indépendance. Avec 39 sièges, l’IP a obtenu 53% des suffrages exprimés au niveau national. Le PMSD a remporté 23 sièges soit environ 44% des voix, dont les deux sièges à Rodrigues. Quatre ministres sortants – Guy Forget, Abdul Razack Mohamed, Guy Balancy et Michael Leal – ont été battus. Cependant, Forget et Mohamed sont entrés au Parlement comme Best Loser. Le 12 août 1967, Sir Seewoosagar Ramgoolam a invité le gouvernement britannique à accepter le désir du peuple mauricien d’accéder à l’indépendance au sein du Commonwealth des Nations. En conséquence, les Britanniques ont fixé la date du 12 mars 1968 comme jour où les Mauriciens accèdent à leur indépendance. Sir Seewoosagur Ramgoolam était un grand admirateur du Mahatma Gandhi pour sa lutte non violente pour la liberté en Inde, et a choisi le 12 mars pour le jour de l’indépendance de Maurice en mémoire de la Marche lancée par le père de la nation indienne pour déclencher la campagne non violente pour arracher la liberté de la puissance britannique qui a été remporté après 17 ans en 1947.

Ce jour-là, 12 mars 1968, le British Union Jack a été remplacé par le drapeau rouge, bleu, jaune et vert de Maurice qui a été suggéré par Sir Abdul Razack Mohamed.

Dévoué, déterminé, convaincu et incontesté

Il restera dans l’histoire mauricienne en tant que leader national et leader de la communauté musulmane. Il s’est battu pour l’indépendance et a fait en sorte que le CAM et les musulmans fassent de l’indépendance. Sans son soutien, Maurice n’aurait pas obtenu son indépendance en 1968 et l’histoire politique de l’île Maurice aurait pris un cours différent. Il a réussi aux pourparlers constitutionnels de Londres avant l’indépendance à obtenir Best-Loser System garantissant la représentation des minorités au Parlement.

Par sa lucidité, il a donné de la stabilité à l’île Maurice. Il a choisi l’indépendance de l’île Maurice et s’est donc inscrit dans la lignée des Gandhi, des Nehru. Il a insisté pour obtenir la représentation parlemantaire garantie de certaines minorités, dont la communauté musulmane. Il a choisi de s’associer au camp du Dr Ramgoolam plutôt que le groupe adverse. L’histoire de l’île Maurice aurait été différente si Sir Abdul Razack Mohamed avait fait des choix différents. L’île Maurice doit lui reconnaitre sa grande contribution au progrès et la stabilité du pays. « Il ne pourra jamais être ramplacé », c’est en ces termes que Sir Harold Walker a cité en exemple la loyauté, le patriotisme et le sens de service de Sir Abdul Razack Mohamed à l’Assemblée Législatives après la mort de ce dernier le mardi 9 mai 1978.

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Sir Abdul Razack Mohamed est né en Inde et est célébré comme l’un des pères de l’État moderne de Maurice. Il était le chef du parti politique appelé CAM (Comité D’Action Musulman). Son travail avec Sir Seewoosagur Ramgoolam du Parti travailliste mauricien est reconnu pour avoir contribué à l’indépendance de Maurice.

Né dans une riche famille à Calcutta, en Inde, en 1906, il était maire de Port Louis en 1949, 1953 et 1956. Sir Abdul Razack Mohamed a occupé de nombreux postes à Maurice, notamment ministre des terres et du Logement. Il n’avait pas besoin de titres pour convaincre le premier ministre d’alors de prendre des décisions bien réfléchi. Sir Abdul Razack Mohamed est décédé à Rose Hill le 8 mai 1978. Certains disent qu’il a eu le cœur brisé après sa défaite en 1976.  En 2006, Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a procédé au dévoilement d’une stèle en mémoire de sir Abdul Razack Mohamed, à la place d’Armes. Cette cérémonie s’est tenue à l’occasion du centenaire de la naissance de celui-ci. Il est décédé, le 8 mai 1978, à Rose-Hill. À sa mort, il n’avait que Rs 2 000 sur son compte bancaire, ayant tout donné aux pauvres, y compris son lump sum. Il a été inhumé au cimetière de Bois Marchand.

Anecdotes

C’est lui qui a eu l’idée des couleurs du drapeau mauricien.

L’une des rues clés de Port Louis porte son nom.

Son effigie est sur le billet de deux cents roupies de Maurice.

Son fils Yousuf Abdul Razack Mohamed a été membre de l’Assemblée nationale, ministre du Travail et des Relations industrielles de 1976 à 1979 et ambassadeur en Égypte et dans d’autres pays du Moyen-Orient. Il est avocat de profession. Son petit-fils, l’honorable Shakeel Mohamed, a été député à l’Assemblée nationale du Parti travailliste et également avocat entre 2005 et 2010. La famille Mohamed est la première famille à Maurice à avoir trois générations à l’Assemblée nationale.

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L’auteur de ce texte a fait ses études secondaires au SSS Abdool Razack Mohamed de 2008 à 2015. Soulignons que ce collège situé à la rue Poudrière s’est distingué par un niveau d’enseignement notable. Pour preuve, la carrière naissante de journaliste de celui qui signe ce texte. Ce retour sur le cheminement de SARM est en quelque sorte une marque de reconnaissance

ZUHAYR DHUNNY