April 19, 2024
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Politique

Cassam Uteem : L’exemple vivant qu’il existe une vie après la politique

Figure incontournable de l’intelligentsia mauricienne et issue de la communauté musulmane, Cassam Uteem lutta pour l’indépendance dans les années 1960 et fut l’un des hommes forts du Mouvement militant mauricien (MMM) de Paul Bérenger au début des années 1970, puis successivement Maire, député et ministre de Port Louis. On le connaît comme celui qui a désamorcé les émeutes de 1999, alors qu’il était le Président de la République. Cassam Uteem fut Président de la République de 1992 à 2002, après avoir occupé plusieurs postes dans l’île, notamment celui de ministre de l’emploi, de la sécurité sociale et de la solidarité nationale (1982-1983) et de vice-premier ministre et ministre de l’industrie et des technologies industrielles (1990-1992). Cassam Uteem est reconnu pour avoir aussi promu les politiques de « l’unité dans la diversité », qui ont réussi à établir l’unité nationale et une démocratie inclusive stable dans une société multiethnique et multi religieuse. Il a reçu l’insigne de Grand Commandeur de l’Ordre de l’Étoile et de la Clé de l’océan Indien, la plus haute distinction du pays. Connu aussi comme étant une fin intellectuelle, il détient également des doctorats honorifiques de l’Université de Maurice, l’Université de Buckingham en Grande-Bretagne, l’Université d’Aix-en-Provence en France, l’Université de Tananarive à Madagascar et l’Université Jamia Millia Islamia en Inde.

Cassam Uteem fut Président de la République de 1992 à 2002

Cassam Uteem a rejoint la politique très jeune, avant même d’aller à l’université. Il explique que ses parents n’avaient pas les moyens de payer ses frais de scolarité, et comme il n’y avait pas de bonne université à Maurice à cette époque, il a alors commencé à travailler et c’est comme cela qu’il a fait ses premiers pas en politique. Quand il était au début de la vingtaine, il était un leader de jeunesse et a rejoint la lutte pour l’indépendance de Maurice. Il a eu le privilège d’être parmi les piliers, ceux qui ont voté pour l’indépendance. Et quand finalement Maurice a eu son indépendance, on lui a demandé de se porter candidat aux élections municipales et il s’est fait élire.

Plus tard, il deviendra maire de Port-Louis. À 50 ans, il devient Président de la République, et parmi ses responsabilité, retenons celles de veiller à ce que la constitution soit respectée et que toutes les différentes communautés arrivent à cohabiter dans un esprit de vivre ensemble. En sa qualité de leader politique au Parlement, il a travaillé très dur pour rétablir la confiance de tous les segments de la population à Maurice, en parti- culier après les troubles qui ont précédé l’indépendance de ce pays en 1968. Au lieu de se concentrer sur une frange de la population, il a souligné la philosophie globale de « l’unité dans la diversité ». À maintes reprises, il a souligné le thème de l’unité nationale, en déclarant ce qui suit dans l’un de ses appels passionnés à ce sujet : « L’égalité des chances pour tous, l’égalité d’accès à l’édu- cation, la formation profes- sionnelle et la méritocratie sont les bases d’une société civile, un égalitariste société, et surtout une société unie. ». Il a dirigé la lutte contre les drogues illicites et la toxicomanie. Il a œuvré pour mettre l’accent sur l’éducation et le changement positif (Maurice a désormais un taux d’alphabétisation de 82,9%), et il s’est battu longtemps et durement pour les droits des travailleurs. Il a quitté la présidence alors qu’il avait environ soixante ans.

Il trouve même que ce fauteuil de Président de la République est un fauteuil « maudit », car aucun de ses occupants n’est allé jusqu’au terme de son mandat, ils ont tous dû démissionner à un moment ou à un autre. Lui, Cassam Uteem, il a dû démissionné en février 2002, alors qu’il s’est fait élire par les parlementaires, comme le veut la Constitution en 1992. Il a donné sa démission après 10 ans de service, afin de protester contre la promulgation d’une loi antiterroriste qu’il trouvait de nature à détruire les libertés. Cette loi voyait le jour après les attentats du 11 septembre en Amérique, où quatre attentats-suicides avaient été perpétrés le même jour, en moins de deux heures, entre 8 hr et 10 hr, par des membres du réseau djihadiste « Al-Qaïda », visant des bâtiments symboliques du nord-est du pays, (dont le World Trade Center déjà attaqué en 1993) et faisant 2 977 morts. Cassam Uteem pensait que le gouvernement allait céder une partie de sa souveraineté au nom de la lutte contre les « forces du mal », le terrorisme. Mais il s’est aussi senti seul du fait qu’il n’a pas eu son mot à dire sur cette loi.

Il est clair que le Président de la République n’a pas beaucoup de pouvoirs, mais il a tout de même son avis à exprimer sur les lois qui sont votées, mais pas cette fois-ci. Mais Cassam Uteem est comme cela : en 1969 : alors qu’il était encore un jeune militant, il avait quitté son parti, le MMM, après avoir pris position contre ses dirigeants. On lui demandait alors de présenter ses excuses auprès d’eux, mais il préféra quitter la scène.

Un humaniste avant tout

On a décrit Cassam Uteem comme « le pèlerin de la paix » à la suite des émeutes de février 1999

Sachant qu’il était encore capable de servir son pays, il continua de chercher un moyen de se garder occupé. Il a été invité à rejoindre une organisation appelée Inter- national IDEA, et cela fut le début de son expérience inter- nationale. Il a ensuite rejoint le GLF et il en devenu l’un de ses membres fondateurs. Il rejoint aussi une organisa- tion appelée Africa Forum où d’anciens présidents en sont membres. Il a été invité par le Centre Carter pour diriger une délégation d’observ- er les élections en Tunisie. Depuis sa démission en 2002, Cassam Uteem est toujours resté actif au sein des péri- odes les plus importantes de l’île. Il a été médiateur au nom de la GLF (Global Leadership Foundation), qui rassemble d’anciens prési- dents. Il a aussi intégré le fameux Club de Madrid, une organisation qui vise à promouvoir la démocratie et qui compte parmi ses mem- bres, 95 ex-chefs d’Etat et de gouvernement.

On retrouve Bill Clinton, Yasudo Fuku- da, Alain Juppé et d’autres grand noms de la démocratie. Il a rejoint le comité interna- tional d’ATD Quart Monde, un ONG qui lutte contre l’ex- trême pauvreté. Pendant son mandat de président de la République de Maurice (1992- 2002), Cassam Uteem a été le premier chef d’État à défen- dre la reconnaissance par les Nations Unies du 17 octobre comme la Journée interna- tionale pour l’élimination de la pauvreté (adoptée en décembre 1992). Son ardent engagement à mettre fin à la pauvreté a donné lieu à une amitié à long terme avec le Mouvement interna- tional ATD Quart Monde. En 2014, Cassam Uteem devient président du conseil international d’ATD Quart Monde. Il ajoutera par la suite : « Je suis très touché, flatté et honoré par l’amitié que vous m’avez témoignée, la confiance que vous m’avez placée et le privilège que vous m’avez accordé en me deman- dant de présider le Conseil d’administration du Mou- vement international ATD Quart Monde. Je ne pouvais pas imaginer me détourner de ce que je considère comme un « devoir solennel » – celui d’avancer plus loin et plus rapidement, si possible, les objectifs d’ATD Quart Monde, en particulier de réduire la pauvreté et de respecter la dignité et les droits humains des personnes en situation de pauvreté autour du monde. »

En 2015, Cassam Uteem a été désigné envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies. Il devra superviser cinq scrutins cruciaux au Burundi entre mai et sep- tembre 2015. Il s’agissait en effet, des élections présiden- tielles et législatives. Il sera le Chef de la Mission d’Obser- vation Electorale au Burundi. Il a été marqué par la dis- parition de l’un de ses fils, Oomar Uteem, cardiologue qui malheureusement a été frappé par une crise cardi- aque en 2007. Il a donc créé la fondation Oomar Uteem Charitable Trust, qui œuvre pour l’éducation et la santé. Il continue aussi de se battre en faveur des droits de l’homme, du droit des Chagossiens à retrouver leur terre, et pour ce que l’on appelle sur l’île la « mauricianité », autrement dit le sentiment d’apparte- nir à une même nation.

Il a voulu montrer son sout- ien à la cause chagossienne parceque pour lui, « C’est un combat important pour les droits de l’homme »

Conflit avec Navin Ramgoolam

Navin Ramgoolam en 2008 n’avait pas apprécié la déclaration qu’a faite Cassam Uteem lors du lancement officiel de la Plate-forme des Citoyens pour l’Unité. Ce dernier avait pris la parole pour commenter sur les facteurs « d’instabilités » qui affectent la société. Il avait déclaré : « Les citoyens ont peur que la situation se détériore.

Il faut se rappeler que les bagarres raciales de 1968 ont eu pour origine des conflits entre gangs. Il a alors fallu solli- citer les forces britanniques pour rétablir l’ordre et la paix entre les musulmans et les créoles ». Après la cérémonie de commémoration de l’abolition de l’esclavage au Morne, Navin Ramgoolam s’était adressé à la presse, s’attardant particulièrement sur la question du Law and Order dans le pays. Navin Ramgoolam a donc profité du moment pour répliquer à la déclaration de l’ancien Président de la République : « Je trouve déplorable et antipatriotique que certaines personnes comme l’ancien président mauve, Cassam Uteem, viennent parler de Kaya et de bagarre raciale de 1968 ! C’est un acte antipatriotique, presque comme s’il avait envie que cela se reproduise.

Au contraire, ce sont des incidents qu’on devrait oublier. Au lieu de voir ce qu’on peut faire pour améliorer la situation, ils parlent du passé. Voyez un peu le sentiment qui les anime !». Dans sa déclaration, il avait aussi fait référence aux émeutes de 1999 : « Nou dir fer atansyon, ki an 2008 pa zwe film ki reklam ti pase an 1999 ». Ce sont justement ces paroles qui auraient dérangé Navin Ramgoolam, provo- quant une sortie en règle contre Cassam Uteem.

L’émeute de 1999

À 79 ans, Cassam Uteem n’a plus d’ambitions électorales. Il regrette que certaines personnes ne souhaitent plus qu’il joue un « rôle » sur l’évo- lution du pays, même s’il a bien tenté de mettre l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, en relation avec des chefs d’Etat étrangers à plusieurs reprises. Lindley Couronne, L’ancien directeur de l’antenne mauricienne d’Amnesty International, affirme que Cassam Uteem est un sage, un militant des droits de l’homme et que tout le monde se souvient que lors des émeutes ethniques de 1999, il a su calmer les choses.

Cassam Uttem avait gagné les cœurs des gens après les émeutes de 1999, suite à la mort de Kaya qui avait été arrêté par la police. Il n’approuva pas l’usage personnes comme l’ancien président mauve, Cassam Uteem, viennent parler de Kaya et de bagarre raciale de 1968 ! C’est un acte antipatriotique, presque comme s’il avait envie que cela se reproduise. Au contraire, ce sont des incidents qu’on devrait oublier. Au lieu de voir ce qu’on peut faire pour améliorer la situation, ils parlent du passé. Voyez un peu le sentiment qui les anime !». Dans sa déclaration, il avait aussi fait référence aux émeutes de 1999 : « Nou dir fer atansyon, ki an 2008 pa zwe film ki reklam ti pase an 1999 ».

Ce sont justement ces paroles qui auraient dérangé Navin Ramgoolam, provo- quant une sortie en règle contre Cassam Uteem. de la force pour traquer les manifestants contre la police; il va plutôt les écouter. Le conflit qui s’était aussi transformé en tensions raciales sera résolu et les blessures réparées. Pendant plusieurs jours, après le début des émeutes, les autorités n’ont pas répondu de manière centralisée. Il n’y a pas eu de réaction rapide du Premier ministre, Navin Ramgoolam, relativement jeune qui avait été élu en 1995 et qui était sur le point de faire face à des élections générales dans quelques mois, à compter des émeutes.

L’aggravation des émeutes a fait ressentir l’absence du commissaire de police, André Feillafé, qui était en vacances à Hawaï dans le cadre des célébrations de sa retraite à venir. C’est finalement grâce à l’intervention de Cassam Uteem sur la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) qui a fait apaiser les esprits. Le pays était à feu et à sang, et Cassam Uteem avait décidé de se rendre sans escorte à Roche-Bois. Cassam Uteem avait alors avancé qu’avant d’être président, il était député de Plaine-Verte/Roche-Bois où il s’était fait de nombreux amis et de connaissances. Il comptait beaucoup sur ces relations personnelles pour faciliter son intervention auprès des habitants.

Il avait plus peur de ne pas trouver les mots et les accents justes pour convaincre et calmer des gens qui, dans des situations pareilles, agissent ou réagissent de manière irrationnelle. Il fallait éviter les discours creux et parler avec le cœur. Le cardinal Jean Margéot aurait même dit que « s’il y a quelqu’un qui peut ramener la paix, c’est bien le président de la République ». Son rôle, depuis le début des émeutes, se résumait à rassurer et à convaincre. Rassurer la population de ces quartiers chauds qu’il leur rendait visite et donner la garantie d’une protection policière adéquate et plus efficace ; et ensuite les convaincre d’éviter l’usage de la force et de la violence car justice serait faite dans le cas de Kaya. Les dirigeants des partis politiques de l’opposition d’alors, sir Anerood Jugnauth et Paul Bérenger, avaient été également invités à lancer un appel au calme à la télévision.

Dans sa détermination à prendre position contre d’éventuelles injustices et abus, il a démissionné volontairement après qu’un projet de loi sur la lutte contre le terrorisme a été adopté par le parlement du pays, auquel il s’était opposé. Bien que préoccupé par le fait que le projet de loi donnerait trop de pouvoir à la police et craignant qu’il ne soit abusé, Uteem n’a pas approuvé le projet de loi à ce moment-là. Il a ensuite resoumis le projet de loi avec 10 amendements, qui ont été rejetés par le Parlement. Il ne lui restait plus que 4 mois pour accomplir son deuxième mandat.

Cassam Uteem estime que la République de Maurice ne peut croître et prospérer qu’en acceptant le fait de la diversité culturelle, et que les Mauriciens ne peuvent progresser qu’en apprenant leurs diffé- rences et en renforçant les valeurs qu’ils partagent en commun. Il veut voir une Maurice unie, pas l’éclatement de la société mauricienne.

Zuhayr DHUNNY