November 5, 2024
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Opinion

Face aux esclavages et apartheids modernes : résiliés ou résilients ?

Le pays rend hommage à celles et ceux qui ont souffert de l’esclavage des hommes par d’autres hommes.  Comme pour les travailleurs engagés, ce sont des commémorations qui dépassent nos différences de religions, de couleurs, de langues ou de quoique ce soit. L’esclavagisme était un mal institutionnalisé.  Même les pires violations des droits humains que nous témoignons aujourd’hui ne sont que rarement comparables, par exemple, à la traite des noirs. Difficile d’imaginer comment l’être humain aurait pu se permettre de prendre ses semblables comme des animaux, des objets ou moins que rien.

En 2024, il existe bien des formes d’esclavages modernes qui doivent nous interpeller allant du trafic humain à l’exploitation des enfants en passant par le commerce de la prostitution et les mariages forcés. Certes, ce sont des pratiques que la société ou le droit international condamne, et qui paraissent moins graves que l’esclavagisme, mais elles sont bien là. Lorsqu’un “responsable” d’un État qualifie une population de “human animals”, nous découvrons que l’esclavage moderne, et de nouveaux types d’apartheid qui l’accompagnent, peuvent prendre des formes plus subtiles, et non moins pernicieuses, en notre époque. Sans amener de condamnation de la part des autorités locales ou internationales, si ce n’est qu’un verdict d’une cour internationale de justice qui ne s’applique pas… 

La faillite programmée de nos institutions, à l’instar du système éducatif ou de santé publique, le racisme dans notre quotidien ou encore la manipulation des instances démocratiques… les esclavages et l’apartheids modernes se construisent dessus silencieusement   sans qu’on y résiste, sans qu’on ne l’aperçoive même. La traite des noirs est bannie, mais nous ne finissons pas de répéter “Black Lives Matter !”. Il y a aussi ceux qui refusent de l’entendre, encore moins de l’admettre.

La religion

Au banc des accusés, sans doute à juste titre, la religion, et plus exactement les corps religieux que les hommes ont inventés, sont pointés du doigt par rapport à l’esclavagisme du passé et des formes modernes qui subsistent. Quelle morale religieuse peut bien permettre un tel mal ? Comment peut-il en être autrement de nos jours quand certains chefs religieux ont totalement résilié face à leurs responsabilités vis-à-vis des victimes de la société et du monde ?  

Mais l’espoir est vivant car il y aussi ceux qui se montrent résilients malgré toutes les épreuves.   L’honneur revient à ces juifs américains qui manifestent continuellement à New York et ailleurs avec des slogans comme “ PALESTINIANS SHOULD BE FREE”, “NEVER AGAIN FOR ANYONE” ou encore “NOT IN OUR NAME: JEWS SAY CEASE-FIRE NOW”. 

À Bethléem et ailleurs, des prêtres chrétiens, subissant un apartheid imposé par les forces d’occupation, se lèvent avec dignité au moment de la Noël, entre autres, pour dire toute leur résistance au génocide des populations civiles palestiniennes. 

En Afrique du Sud, la population musulmane est de 1,3% seulement, mais fort de sa résilience et sa résistance face à l’apartheid qu’il a fini par vaincre, ce pays a fait une leçon de justice et de courage au monde entier. Pour Pretoria, la question palestinienne n’est pas une affaire de religion, de race ou d’intérêts particuliers. Il s’agit d’une lutte continue contre une colonisation qui dépasse les frontières et le temps, ce phénomène qui a engendré l’apartheid et l’esclavagisme en d’autres circonstances.

Et que dire de l’islam ?  Si ce qui s’appelle “esclavage” n’est pas aboli immédiatement   il y a 14 siècles, il y a de facto un processus irréversible vers sa disparition inévitable sans tarder. Cette réforme définitive menant à son abolition ne s’inscrit pas dans la durée mais dans les cœurs des hommes.  Comment pouvaient les musulmans poursuivre avec l’esclavage quand la foi leur demandait de nourrir les esclaves et les habiller comme ils le faisaient eux-mêmes ? Le système n’était pas principalement la traite des noirs ou d’autres individus considérés inférieurs, mais davantage une façon de garder les prisonniers de guerre, voire de les intégrer.  Cela ne se passait pas toujours correctement car entre ce que veut l’islam et ce que font les musulmans, il y a un écart qui s’agrandit avec la tentation de ce monde. 

D’autres mécanismes entrent dès l’époque prophétique en vigueur comme la possibilité d’un esclave d’acheter sa liberté. Cette émancipation est aussi une exigence religieuse dans maintes situations. Sans oublier que, spirituellement, rien ne fait des esclaves des êtres différents de leurs maîtres.  Tant de ces derniers ont eu comme mamans, ont été éduqués   ou ont prié derrière leurs imams, leurs guides et leurs chefs, ceux qui étaient des “esclaves”, en vérité des êtres humains égaux. très chers à eux, sinon plus honorables qu’eux-mêmes, pleinement affranchis tout naturellement à la première occasion.

Conclusion

A l’heure actuelle, même si l’esclavagisme est officiellement aboli ici depuis 1835, les séquelles perdurent.  Il y a un malaise qui s’ajoute à trop d’indifférence face aux manifestations de  l’esclavage et de l’apartheid modernes sous maints visages, qui se banalisent dans provoquer trop d’indignation. Même en Afrique du Sud où l’apartheid a officiellement disparu, les traces demeurent en dehors du cadre institutionnel.  Transformer, faire une transition, changer…les mots ne manquent pas pour signifier l’envergure du défi. 

Au lieu d’être résilients, en Afrique du Sud comme ailleurs, trop souvent, nous sommes des êtres qui ont résiliés devant nos responsabilités, particulièrement vis-à-vis d’autrui.  Un exemple suffit pour le prouver dans le cadre mauricien aussi, peut-être.  Sinon demande à ce qu’on y réfléchisse.  N’y a-t-il pas dans la délimitation des circonscriptions électorales, surtout avec le dernier exercice, une grave menace de ghettoïsation de certaines régions, un risque d’un apartheid qui se construit autant dans les têtes des gens que sur le terrain ?  

« Ghetto », un terme qui se réfère à l’origine a la ségrégation des juifs en Europe, foyer réel et berceau de l’antisémitisme. « Township » ou « slum », noms pour désigner les bidonvilles dans le Sud global de Johannesburg à Mumbai en passant par Rio ou Lagos. Lieux d’habitation de tant d’esclaves modernes soumis à des formes d’apartheid qui y sont associées. Gaza, il y a peu une prison à ciel ouvert et maintenant une « strip » inhabitable avec des millions de réfugiés qui sont condamnés à mourir de faim. Résilients, ils le sont par la grâce divine. Alors que tant parmi nous ont résiliés devant nos responsabilités.   Et dire que nous célébrons, ces jours-ci, l’abolition de l’esclavage des hommes par les hommes !

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