October 10, 2024
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« Il n'y a pas de traitement VIP dans les prisons »

C’est avec un gant de fer que Raj Appadou gère les institutions pénitentiaires, dont une douzaine à Maurice et une à Rodrigues. Malgré les critiques venant de plusieurs milieux, il n’avait pas bronché. Aujourd’hui, il estime qu’il a eu raison de mener sa mission telle qu’il l’avait concue. Pour ce commissaire qui a parcouru les différents départements au sein de la force policière, il ne croit pas dans une « friendly prison ». Pour lui, le prisonnier doit savoir qu’il est dans une prison et que c’est normal que ses mouvements soient restreints. « Tous les prisonniers sont égaux à mes yeux et il n’y a pas de « traitement de VIP sous mon administration », a-t-il dit, entre autres lors de l’interview qui suit.

ENTRETIEN RÉALISÉ : Ali SAYED-HOSSEN

Le secteur dans lequel vous évoluez n’est pas un Saint univers. Il y aura toujours autant des critiques que des mesures à prendre. Comment maîtrisez-vous tout cela ?D’emblée je dirai que mon parcours m’a énormément aidé. J’ai eu un training de fer dans la police. J’ai eu l’occasion de fréquenter une des plus grandes académies policières, la Royal Military Academy Hand Hurst ; ainsi que le commando en Inde. J’ai aussi passé une année en France.
Quand j’étais dans la force policière j’étais plus sur le terrain et je menais beaucoup d’opérations. C’était en 1974 que j’ai fait mon entrée au sein de la force policière. J’ai passé au rang de Cadet en 1980 et successivement j’ai été promu au rang d’inspecteur, chef inspecteur, Assistant surintendant, surintendant et Deputy Commissioner. Ce fut au rang de Deputy Commissioner que j’ai quitté la force policière pour prendre le poste de Commissaire des prisons le 1er juillet 2016. Je dois aussi dire que j’ai travaillé dans diverses divisions de la police, dont le Mauritius Coast Guard, la CID, l’ERS, sans oublier six mois à Rodrigues.

Quelle a été votre première démarche en arrivant à la prison ?

Jean Bruno était mon aîné. Quand je suis arrivé, il m’a brossé un tableau réel de la situation qui y prévalait. J’avais donc décidé de mettre le moteur en marche. Je ne suis pas ce genre de chef à rester assis entre les quatre mur de mon bureau. Alors là, je dois dire que quand je dors le soir, je ne cesse de penser à ce que je pourraifaire pour diminuer les dépenses au sein des institutions pénitentiaires. Mais, nous devons aussi être à l’écoute de tous. Je vous donne un exemple. Nous avions trois cabinets dentaires ; et à chaque fois on devait mobiliser plusieurs escortes. Pour diminuer le coût, nous avons opté pour un service dentaire mobile. Ce qui a considérablement diminué les dépenses en termes d’escortes. Même pour la distribution des pains, nous avons décentralisé ce service en ouvrant des boulangeries dans diverses endroits.

Votre nom fait toujours la une des journaux parce qu’il est vrai que vous dirigez les prisons avec un gant de fer. Que répondriez-vous à ceux qui disent que votre façon de faire déborde sur une autorité excessive ?

détenus. Il n’y a pas de traitement de VIP en prison. Tous les détenus sont égaux. Ceux qui se croient riches n’ont pas aimé ma façon de faire. Mêmes les repas étaient servis dans des « talis » contenant de la salade, du riz, grains sec et autres faratas ou pains. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. « It should be the hard way », comme dirait l’anglais. Aujourd’hui nous n’avons que 30 ou 40 items essentiels. À signaler aussi que des parents avaient l’habitude d’apporter de l’argent pour remettre aux détenus. Depuis le 1er février dernier, c’est la politique de zéro cash qui s’applique.
Aujourd’hui, il faut travailler pour avoir droit à « ene ti cash ». Nous avons toute une panoplie de travaux. Par exemple, si un détenu est un maçon professionnel, il sera payé Rs 150.00 par semaine ou si c’est un aide-maçon, il aura droit à Rs 120.00 par semaine ; alors qu’un ‘general worker’ est payé Rs 100.00 la semaine.

C’est pour dire que rien n’est gratuit. Nous instaurons une discipline au sein de nos prisons. Le détenu n’a plus le droit de laisser pousser ses cheveux. Il doit observer une coupe et cette coupe est uniforme. Chaque matin, on se réunit et tous les détenus écoutent l’hymne national. Nous inculquons chez eux ce sens d’appartenance national.
Autre fait qui va vous choquer : nombreux sont les détenus qui recevaient régulièrement des sommes d’argent par « postal money order ». Ces sommes sont ensuite gérées et versés à leur compte par notre personnel de la comptabilité. Pour vous donnez quelques chiffres, en 2013 nous avions reçu Rs 6M sous forme de postal money order. En 2014 ce montant était passé à Rs 6.5 M pour descendre à Rs 5.6 M en 2015. En 2016 nous avions eu Rs Rs 5.8 M alors qu’en 2017 ce montant dégringolait à Rs 1.8 M. L’année dernière le montant était de l’ordre de Rs 6 200 et cette année-ci, zéro postal money order. Sur la question des heures supplémentaires, on avait un chiffre record de Rs 48M à Rs 50 M par an. Nous avons supprimé cela. Nous avons 1 400 gardes chiourmes pour nos détenus, soit un ratio de 1 :2. Ce ratio est unique au monde. Avec un taux d’occupation de 75%, je dois dire qu’il n’y a pas de surpopulation dans nos prisons.
Il ne faut pas avoir peur pour prendre des décisions. Nous devons osés dans nos décisions. Je ne crois pas dans ce concept de « friendly prison ». Les prisonniers doivent comprendre qu’ils sont dans une prison et que leurs libertés sont sujettes à des restrictions.

Où en êtes-vous avec la suppression quasi-totale de l’entrée des drogues à l’intérieur des prisons ?

Je prends beaucoup d’actions pour veiller à l’infiltration des drogues à l’intérieur des prisons. Par exemple, le nombre de patrouilles à l’extérieur des prisons a considérablement augmenté. À Petit Verger, en face de la mer, mes hommes font des patrouilles régulières et nous faisons nettoyer des terrains en friche pour décourager tout passage facile des drogues. Nous avons des caméras additionnelles et je dois dire qu’à Melrose on a une zone tampon (neutre).


Cependant, il y a des choses qui sont en dehors de notre contrôle. À titre d’exemple, je vous citerai l’infiltration des miniportables dans leur partie arrière. Même là, à l’aide des détecteurs, nous arrivons à savoir s’ils ont caché ces miniportables dans leurs parties privées. Nous les forçons à aller à la selle et ainsi les évacuer. Il est bon de noter ici que la Reform Institution Act est en voie de proclamation et en passe de devenir une loi. Cette loi prévoit des punitions sévères à tout contrevenant déjà incarcéré. Elle prévoit ainsi une amende de Rs 50 000 et une peine d’emprisonnement ne dépassant pas cinq ans. La rémission automatique d’un tiers de la peine totale deviendra « earned remission », c’est-à-dire qu’il faut que le détenu travaille pour avoir droit à un pourcentage de rémission.

Qu’est-ce qu’il vous reste
à faire ?

Coûte que coûte, nous devons rendre nos institutions pénitentiaires autonomes. Déjà en approvisionnement de pains nous sommes déjà autonomes, ainsi que dans celui des poulets. Qui dit poulet dit œufs. Un produit qui est encore hors de nos capacités d’autonomie. Nous serons bientôt autonomes en légumes. Du côté du poulet, on attend notre certificat d’Environment Impact Assessment (EIA) pour commencer à faire l’abattage des poulets à l’intérieur de nos cours.

Garde-chiourme récalcitrant

Pendant que le commissaire des prisons nous accordait son interview Ndlr : lundi dernier en début d’après-midi), il avait reçu un appel l’informant qu’un garde-chiourme affecté à la prison de Petit Verger n’obtempérait pas à ce qu’il soit sujet à une fouille corporelle. Raj Appadoo a tout de suite donné des instructions pour qu’une équipe de l’ADSU ainsi que le médecin de service fassent une descente des lieux. Chose qui fut faite immédiatement après. Il s’est demandé, qu’est-ce qu’il avait à cacher pour ne pas se soumettre à une fouille alors que lui en tant que commissaire des prisons, il se laisse fouiller.

Seize variétés de repas à Melrose

Une fois le commissaire des prisons avait appris qu’à la prison de Melrose, une variété de 16 repas était préparée. Après une petite enquête interne, il avait compris que c’était pour satisfaire les caprices de certains détenus. Depuis il avait donné des instructions formelles qu’une seule variété de repas préparée. Pour lui, si un prisonnier ne peut pas consommer de la chair de poulet, qu’il soit mis sur la liste des végétariens. Et ce jusqu’à l’avis contraire du médecin en poste.

Ces hommes en noir qui abusent

Suite aux abus de certains avocats en ce qui concerne leur nombre de visites dans les prisons, le commissaire Raj Appadoo a eu une session de travail avec les membres du Bar Council. Il a ainsi été décidé que tout avocat qui souhaiterait rencontrer son client, doit faire une demande en écrit 48 heures avant la date de sa rencontre. À M. Appadoo de noter avec satisfaction que cette pratique de venir à toute heure à la prison a diminué par 95%.