Esquiver les balles en caoutchouc, renvoyer les lacrymos, échapper aux policiers… Les Hongkongais rentrant de manifestations peuvent reprendre une dose d’adrénaline grâce à un jeu vidéo recréant les heurts avec les forces de l’ordre qui illustre encore la créativité de la mouvance pro-démocratie.
L’ex-colonie britannique traverse depuis cinq mois une crise politique sans précédent depuis sa rétrocession en 1997, avec des manifestations quasi quotidiennes qui dégénèrent presque systématiquement en violences.
Comme si la réalité ne suffisait pas, un groupe de manifestants vient de développer un jeu utilisant la réalité virtuelle pour vivre ce que c’est d’être en première ligne, quand les lacrymogènes pleuvent sur la mégapole.
Elaboré en moins d’une semaine, “Libérez Hong Kong” permet aux gamers, grâce à un casque de réalité virtuelle, de se croire à Mongkok un de ces soirs d’affrontements comme ce quartier populaire de la péninsule de Kowloon en a connu des dizaines depuis juin.
“Ce jeu vous fait vivre une expérience que la lecture de la presse ou les reportages télévisés ne vous donneront pas”, promet à l’AFP Jane Lam, une des personnes l’ayant développé.
– Les néons de Mongkok –
Les autorités se sont refusées à accéder aux requêtes des manifestants, qui demandent notamment des réformes démocratiques et une enquête sur l’attitude de la police qu’ils jugent excessivement brutale.
Et la mobilisation est devenue de plus en plus violente, des manifestants radicaux répliquant aux tirs de lacrymogènes de la police en jetant des cocktails Molotov et des briques sur les forces de l’ordre.
Mais le mouvement a aussi fait preuve d’une étonnante créativité artistique, qu’il s’agisse des prospectus affichés dans toute la ville sur des “murs de Lennon” très colorés ou encore de cet “hymne” composé par un anonyme et qui a été adopté par la contestation.
Ce jeu vidéo en est une autre illustration.
Ses créateurs disent avoir eu l’idée du jeu en réaction aux sanctions qui avaient été infligées par l’éditeur américain Activision Blizzard contre le joueur professionnel hongkongais Chung “Blitzchung” Ng Wai qui avait scandé en octobre un slogan favorable aux manifestants lors de la diffusion en direct d’une interview.
Ils ont ainsi travaillé à recréer le décor et l’ambiance d’une rue de Mongkok un soir de colère, avec les graffitis partout, les avertissements de la police ou encore les nuages de lacrymogènes éclairés par les néons des échoppes.
– “Tellement réel” –
Les développeurs, qui ont requis l’anonymat de crainte de représailles, ont invité Ng à un essai du jeu qui a été diffusé sur Twitch, plateforme de live-streaming prisée des amateurs de jeux vidéos.
“Cela semble tellement réel”, s’est-il enthousiasmé, alors que son avatar a été touché par des tirs policiers et arrêté plusieurs fois.
Un journaliste de l’AFP a également pu tester le jeu dans un bâtiment industriel qui avait été loué pour présenter “Libérez Hong Kong”.
Différence de taille avec la réalité, le jeu ne permet pas aux manifestants de se livrer à des violences ou de lancer quoi que ce soit sur les forces de l’ordre.
Le joueur doit éviter les balles en caoutchouc avec un bouclier de fortune constitué d’un panneau de circulation, renvoyer les lacrymos ou tout simplement prendre ses jambes à son cou quand la police charge.
– “Ce n’est pas un jeu” –
Le jeu, qui ne dure actuellement pas plus de 10 minutes, a été soumis à Steam, la plus grande plateforme au monde de distribution de jeux vidéos qui propose beaucoup de créations d’amateurs. Mais ses développeurs n’ont pas eu de réponse.
Les sujets politiques ayant trait à la Chine sont un terrain très glissant pour les plateformes de jeu, en particulier celles qui sont déjà bien implantées sur le très lucratif marché chinois.
Le développeur basé à Taïwan Red Candle Games en a fait l’amère expérience cette année en retirant de Steam son très populaire “Detention” après que des gamers chinois eurent décelé dans ce jeu un message caché critiquant le président Xi Jinping.
Sans réponse de Steam, les développeurs hongkongais ont soumis leur jeu à Itch, une plateforme moins connue où il est en accès libre.
“C’est clairement de la censure politique”, ont-ils dit. “Après celui de +Detention+, Steam ne veut pas d’un autre incident qui rognerait sa part de marché en Chine.”
Steam n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP.
Jane Lam a espéré que ce jeu pourrait sensibiliser l’opinion internationale, et inciter les Hongkongais à manifester.
“Nous insistons sur le fait que ce n’est pas un jeu”, a-t-elle dit. “Nous ne voulons pas que les gens aient le sentiment d’avoir accompli quelque chose dans le monde virtuel. Nous espérons qu’ils descendront ensuite dans les rues.”
Source : AFP/France24