Ancien rédacteur-en-chef de L’Express, directeur de ION news, Rabin Bhujun n’a pas pour autant rangé sa plume. Sur son “mur” de LinkedIn, il a infligé une volée de bois vert à Roshi Bhadain, remettant en mémoire l’action irréfléchie de l’ancien ministre dans l’affaire Betamax. Ce qui va coûter au pays plus de rs. 5 milliards, avec le renversement du jugement de la Cour Suprême. Lisons plutôt R. Bhujun.
<< Roshi Bhadain a des qualités, il faut le reconnaître. Il sait convaincre, surtout quand il trouve un naïf en face. Un de ses exploits, dans un passé récent, a notamment été de persuader une des filles de Dawood Rawat de venir dire, sur la scène d’un meeting du Reform Party de Bhadain, que ce dernier n’avait pas causé l’écroulement du défunt groupe BAI. Cet exploit force le respect. Il fallait quand même le faire… surtout quand on connaît l’animosité – voire la haine – qui opposait les Rawat et Bhadain en 2015 et les années suivantes. La politique est faite de vérités successives, dit-on.
Roshi Bhadain se démène depuis ce lundi, date à laquelle la décision du Judicial Committee of the Privy Council sur l’appel de Betamax a été rendue publique.
Avec le concours de journalistes – à la mémoire courte, crédules ou ne connaissant manifestement pas le dossier – le puissant et influent ministre de Sir Anerood Jugnauth (SAJ) au moment de la grande purge revancharde de 2015 se dédouane. Assurant être exempt de tout blâme.
Alors à la tête d’une rédaction et suivant de très près le dossier Betamax, j’en ai discuté pendant des heures avec les principaux protagonistes de cette affaire : Roshi Bhadain lui-même ; Veekram Bhunjun et ses avocats ; d’ancien membres du gouvernement travailliste et de hauts fonctionnaires. Et de ce que j’ai entendu, vu, lu et su, je peux avancer les choses suivantes :
1. Bien évidemment, c’est le Conseil des ministres qui a donné son aval à la résiliation du contrat liant Betamax à la State Trading Corporation (STC) et portant sur le transport du carburant acheté par Maurice. Mais comme pour tous les sujets, le Conseil des ministres avalise un dossier travaillé de fond en comble par un ministre ainsi que ses fonctionnaires et conseillers puis défendu par celui-ci. Le dossier Betamax était celui de Bhadain.
2. C’est l’ancien ministre de la Bonne gouvernance qui dirigeait les opérations du comité interministériel mis sur pied par SAJ, pour initialement examiner le contrat de Betamax et le renégocier . Si ce comité était arrivé à la conclusion que le contrat contenait des clauses exorbitantes et qu’une résiliation pure et simple coulait de source ; c’était d’abord et avant tout l’avis de Bhadain.
3. De nombreux hommages rendus à SAJ par ses anciens alliés et adversaires ont souligné sa capacité à déléguer et à faire confiance à ses ministres quand il dirigeait un gouvernement. En 2015, SAJ faisait énormément – aveuglément ? – confiance à Bhadain, avec qui il avait tissé une relation quasi filiale. Au point de le choisir pour le poste de ministre des Finances quand Pravind Jugnauth avait été temporairement mis hors jeu dans l’affaire Medpoint. Bhadain avait donc toute l’autorité et la latitude d’agir sur le dossier Betamax, largement à cause du quasi blanc seing qui lui avait été confié par le chef du gouvernement d’alors. Il a usé et abusé de son aura fraichement acquis de blue eyed boy du boss.
4. Bhadain, dans ces dernières déclarations à la presse, jette le blâme sur l’ancien Attorney General déchu : Ravi Yerrigadoo. Expliquant que c’est son ancien collègue du Conseil des ministres qui avait estimé qu’il fallait néanmoins accepter que la résiliation du contrat puisse être examinée par la Cour d’Arbitrage de Singapore.
L’accord liant la STC et Betamax prévoyait que les différends entre les deux parties soient ainsi résolus. Mais dans les faits, tous ceux qui ont témoigné de la dynamique de l’époque savaient que Yerrigadoo n’était qu’une sorte de lieutenant de Bhadain. C’est ce dernier qui était de loin le chef d’orchestre de toute la campagne de revanche avalisée par SAJ. Dans ce match de boxe, Yerrigadoo était un poids plume face au poids lourd Bhadain.
5. Bhadain ne peut nier qu’il y avait des avis légaux – solides et rédigés par des personnes respectées – qui arguaient que la résiliation pure et simple du contrat, suivant le raisonnement du ministre de la « Bonne » gouvernance d’alors, allait engendrer des conséquences juridiques et financières graves et colossales pour l’Etat.
6. Bhadain surtout, et d’autres aussi, ont balayé avec dédain ces avis légaux. Allant jusqu’à insulter l’intelligence et l’intégrité de ceux qui prônaient le bon sens et la rigueur juridique. En affirmant que ce n’étaient ni plus ni moins que des travaillistes embusqués. Qui cherchaient à protéger Navin Ramgooolam et consorts. En passant, rappelons que l’ancien Premier ministre et quelques uns de ses ministres avaient soit été arrêtés ou interrogés dans le sillage de l’affaire Betamax. Toutes les accusations provisoires ont été rayées.
7. L’actuel chef du Reform Party explique qu’il était contre le fait d’aller devant la Cour d’Arbitrage de Singapour pour résoudre le différend né entre la STC et Betamax et que c’est Yerrigadoo, qui avait insisté sur cela. En prenant cette tangente, Bhadain veut faire croire que Betamax allait alors ne rien faire et accepter de subir quelques Rs 3 milliards de manque à gagner. Seuls les naïfs le suivront sur cette voie.
Même si on avait écouté Bhadain et suivi cette voie, Betamax aurait à coup sûr contesté la décision du gouvernement de bouder la Cour d’Arbitrage devant la Cour Suprême. En cas d’échec devant nos juges locaux, Betamax aurait alors malgré tout saisi le JCPC et obtenu gain de cause.
Car à la lecture de la décision des Law Lords, ceux-ci affirment, en résumé, que les clauses du contrat peuvent être exécutées. On se serait alors retrouvé au même point qu’aujourd’hui. La Cour d’Arbitrage aurait appliqué les clauses du contrat et ordonné le paiement de quelques Rs 4 milliards (au taux du dollar de mi-2017) à Betamax.
8. C’était une décision collective oui, le gouvernement actuel ne peut impunément dire qu’il n’est en rien responsable des quelques Rs 4,7 milliards additionnels qu’il faut désormais trouver pour compenser Betamax. Toutefois, Bhadain avait une influence démesurée sur cette décision initiale.
La décence voudrait qu’il accepte sa (grosse) part de tort. Mais la décence n’est pas vraiment un attribut que Bhadain a pu/su démontrer depuis son arrivée tonitruante sur la scène politique en décembre 2014.>>