Une immense tristesse nous étreint au moment d’entamer cet exercice éditorial.2 En effet, la disparition de SAJ si elle n’a pas les effets d’une onde de choc [vu l’âge de l’ex-PM], nous pèse lourdement sur le coeur: sans conteste, l’Île Maurice perd son plus grand leader politique et le Premier ministre le plus remarquable de toute son histoire. Conjuguant avec une belle dextérité leader et leadership, intrépide et intransigeant, efficace et pragmatique, SAJ n’était pas homme à céder aux compromis et compromissions. C’est en peu de mots la clé de sa réussite.
On juge un Premier ministre à son bilan global et SAJ dispose d’un registre exceptionnel. Même ses pires détracteurs l’ont reconnu. Il s’est comporté tout au long de sa longue carrière comme un vrai chef d’État, patriote, cherchant à restaurer les valeurs politiques et économiques. Il est l’homme qui a fait sortir Maurice de son marasme socio-économique et tout Maurice lui a rendu sa grandeur. Sir Anerood Jugnauth est assurément le plus grand PM que nous avons connu. Pour celui qui a assuré avoir fait de la politique «par devoir», il fallait avoir une main de fer pour que le pays avance. Ses résultats ne souffrent d’aucune contestation.
Sur Internet, on trouve des centaines de définitions de « leadership ». Pourtant, si on nous le demandait, nous pourrions probablement tous donner rapidement une définition que nous jurerions exacte. En effet, le bilan impressionnant de SAJ nous permet de mieux saisir les caractéristiques d’un leader d’exception:et, plus précisément, l’audace, l’ingéniosité et la volonté.
En ces moments pénibles, les Mauriciens ont sans l’ombre d’un doute une pensée particulière pour cet homme, à la dimension patriotique et politique qui a dépassé le cadre national. Il ne serait pas difficile pour les Mauriciens de choisir le plus grand politique de toute notre histoire. Car sir Anerood Jugnauth est le seul à avoir été successivement ministre, leader de l’Opposition, Premier ministre à six reprises et président de la République durant deux mandats.
Son courage durant la campagne 2014 (alors qu’on le croyait s’être mis au vert) obligea même ses pires adversaires à le respecter. Navin Ramgoolam avait reconnu avoir sous-estimé le leader de l’Alliance Lepep. Tandis que les tentatives de Paul Bérenger pour le faire passer comme un communautariste n’ont jamais séduit personne. Il n’avait pas fléchi face à une alliance PTr-MMM donnée mathématiquement vainqueur. Tel John Rambo, son surnom affectif, il avait littéralement exterminée ses adversaires.
Né le 29 mars 1930, avocat et Queen’s Counsel, SAJ est à la base de la genèse du succès économique de Maurice. C’est son principal architecte. Il a dirigé le pays d’une main de fer de 1982 à 1995. Un homme de courage qui venait de démissionner de la présidence de la République pour retourner, à 82 ans, dans l’arène politique pour y entamer, sans doute, son dernier combat. Mais de là à sortir victorieux face à une alliance rouge-mauve fut un pari sur lequel peu aurait misé.
D’ailleurs, peu l’avait vu refaire surface après la grande débâcle de 1995. Cette période où Navin Ramgoolam l’humiliait en le mettant au fond des salles. Mais, c’est dans l’adversité qu’il est létal pour ses ennemis. Malgré le fait de perdre la partielle de 1998 à Flacq/Bon-Accueil où il s’était porté candidat ou encore celle de la Fédération MSM/MMM en 1999 au No 20 à Beau Bassin/ Petite Riviere, il n’avait pas abdiqué et revint en force en septembre 2000 pour prendre la barre du pays. Un peu comme il le fit en 2014.
C’est un personnage double, habité par l’ambition, à la fois homme de lumière, carré, simple, chaleureux, fan de football britannique; et un homme de l’ombre passionné par la spiritualité, dur, secret, imprévisible et paradoxalement calculateur qui ne s’embarrasse pas de sentiments pour obtenir ce qu’il veut. La facétieuse presse mauricienne le surnommera d’ailleurs de façon élégante Rambo. En un mot : une bête politique dont même ses pires ennemis saluent le rôle dans le décollage économique de Maurice.
Dans le Livre Living Legends, Ibrahim Alladin évoque sa jeunesse et ses débuts en politique, depuis son élection à l’Assemblée qui n’est pas encore nationale mais législative, en octobre 1963, comme député de Rivière-duRempart. Il bat pour cela un pilier du parti Travailliste, en faisant mentir tous les pronostics, et remporte son siège avec 55 % des voix. Il n’a pas trente cinq ans lorsqu’il accède aux plus hautes charges de l’État en devenant, en 1965, ministre du Développement dans le gouvernement de Seewoosagur Ramgoolam. Cette même année, le jeune Anerood Jugnauth participe à la conférence constitutionnelle à Londres. Cette conférence est fondamentale car elle va conduire à l’indépendance de Maurice mais dont le prix à payer a été, selon de nombreux historiens, l’excision des Chagos de son territoire.
Sont également évoquées, d’autres dates capitales de l’île comme les élections de 1982 où le parti du père de la Nation, Seewoosagur Ramgoolam, est balayé (le fameux 60/0 soit 60 députés pour le nouveau pouvoir contre aucun pour le parti sortant). La cassure d’avec le MMM (Mouvement militant mauricien) qui suivra, en 1983, et la création du MSM (Mouvement socialiste militant) qui deviendra la véritable machine de guerre au service de SAJ. L’ancien Président de la République, Karl Offman estime d’ailleurs que la cassure de l’alliance MMM-PSM a poussé SIR Anerood Jugnauth à « assoir son leadership et à révéler toute sa personnalité. Ce fût un mal pour un bien (…) car sans cassure il n’y aurait pas eu développement économique ».
Ainsi, en décidant de la création de la zone franche, en faisant venir des investisseurs asiatiques, en particulier hongkongais effrayés par la rétrocession à la Chine communiste, en assurant l’essor du tourisme et de l’hôtellerie, SAJ assure le plein emploi dans l’île et en fait un modèle salué internationalement. Maurice écrit alors un nouveau chapitre de son histoire économique.
C’est le genre de grand-père que l’on aimerait avoir. À la fois sérieux, rassurant et malicieux. Celui qui vous attend patiemment devant la porte, vous fait entrer dans son salon encombré de bibelots plus ou moins heureux reçus au cours de quarante années de carrière. Celui qui, du fond de son fauteuil, entre deux gorgées de thé au lait sans sucre, vous jauge en silence, mine de rien. Qui vous dit d’un ton un peu bougon qu’il ne voulait pas donner d’interview, mais qui se prête de bonne grâce à vos questions, même les plus incongrues.
Cela fait plus de cinquante ans qu’Anerood Jugnauth est entré en politique. Alors président du conseil de village de Palma, il avait été approché par l’Independant Forward Block (IFB) pour se présenter aux élections générales dans la région de Rivièredu-Rempart. Opposé à un pilier du parti Travailliste, Aunuth Beejadhur, il avait alors fait mentir les prévisions en remportant un siège avec 55 % des voix, en octobre 1963. Même ses adversaires politiques reconnaissent en lui les grandes qualités de leadership, la détermination et le sens du devoir. Aussi, évoque-t-il la gestion économe des affaires de l’État telles qu’il les a menées, le fait qu’il savait faire confiance à ses ministres et encourager leur créativité.
On sait qu’il n’a pas été informé de l’excision des Chagos, ce deal ayant été traité par SSR seul avec les Britanniques lors de la conférence constitutionnelles à Londres. Et, pour n’avoir pas participé aux sinistres manoeuvres de livrer les Chagos aux anglais, la Providence lui octroie aujourd’hui cet immense honneur d’être l’artisan de la victoire de Maurice dans la récupération de ces terres mauriciennes.
Parmi les faits majeurs à l’actif de SAJ, citons l’accession de Maurice au statut de République en 1992, alors que l’amendement avait été présenté en vain en 1983 et en 1990. Si on peut paraître convaincu que sir Anerood Jugnauth mérite pleinement le statut de légende vivante, il faut reconnaitre cependant qu’on voit très peu de personnes susceptibles de rentrer dans cette nouvelle collection.
SAJ mettait lui l’accent sur le fait qu’il était devenu ce qu’il est grâce à l’éducation et qu’il encourageait toujours les gens et les jeunes, en particulier, à investir dans l’éducation. Il est de bon ton de faire allusion aussi à sa carrière politique où il a sué eau et sang pour propulser Maurice dans le giron des pays émergents.
SAJ disposait en lady Sarojini un soutien infaillible. Celle qui l’a accompagnée dans tous les meetings et de tous les déplacements durant la campagne 2014. Celle qui a été à ses côtés dans tous les combats, les triomphes et les échecs. SAJ a été un homme d’action. Et, il savait que le conseil des ministres est un travail d’équipe. D’ailleurs, c’est le seul Premier ministre à laisser fonctionner ses ministres. Contrairement à Navin Ramgoolam qui voulait que toutes les décisions soient centrées sur sa personne à l’exemple des républiques bananières d’Afrique. Sans mentionner que NCR réduisait ses hommes à des moins que rien, au point qu’il ne resta que peu de choses à ces ministres pour sauver leur dignité.
« Je veux terminer ma carrière politique dans l’honneur », avait lancé le leader de l’Alliance Lepep, Sir Anerood Jugnauth, lors du meeting de remerciement organisé en décembre 2014 à Vacoas, mettant ainsi un point final à la campagne électorale ayant débouché sur la victoire de l’Alliance Lepep lors du scrutin du 10 décembre. Il assura que le gouvernement irait « jusqu’au bout de son mandat » et annonça que des enquêtes seront ouvertes, comme celle sur le trafic de drogue. Tout en sachant que des membres Une immense tristesse nous étreint au moment d’entamer cet exercice éditorial.2 En effet, la disparition de SAJ si elle n’a pas les effets d’une onde de choc [vu l’âge de l’ex-PM], nous pèse lourdement sur le coeur: sans conteste, l’Île Maurice perd son plus grand leader politique et le Premier ministre le plus remarquable de toute son histoire. Conjuguant avec une belle dextérité leader et leadership, intrépide et intransigeant, efficace et pragmatique, SAJ n’était pas homme à céder aux compromis et compromissions. C’est en peu de mots la clé de sa réussite. du gouvernement pouvaient passer à la moulinette, de par leur complaisance et la promiscuité que leur métier d’homme de loi leur accablait.
Dans un entretien de presse en 2010, il avait affirmé : « J’ai une autre manière de regarder l’avenir. Quand je vois mon enfance, quand je vois d’où je viens et où je suis, je me dis que c’est mon destin. Je suis heureux pour Pravind, pour ce qui se déroule. Mais c’est lui, c’est chacun qui doit savoir conduire son destin. Chacun doit savoir faire son chemin. Et chacun atteindra ce que son destin avait prévu. Ni plus ni moins. Je crois à 100 % au karma. »
Et, ce fut à juste titre que Pravind prit la succession de son père. SAJ pouvait s’enorgueillir de son éblouissant parcours politique, mais rien ne peut égaler le bonheur qu’il savoure de la manière dont son fils lui fait honneur, avec une gestion implacable du pays. La réussite socio-économique s’ajoutant au façonnement de cette réussite aux élections de novembre, cela démontre que Pravind a été à la hauteur de la confiance de SAJ. Ce qui n’est pas peu dire, quand on sait que NCR a été loin, très loin du niveau atteint par son père.
Rien n’est acquis d’avance, personne ne sait de quoi demain sera fait. Mais, le tempérament, la vigueur, le sens du travail de SAJ laissaient peu de place à des défaillances. Il suffisait qu’il soit vigilant et surtout impitoyable, vis-à-vis même des siens. Le nom de SAJ a été envoyé à la postérité.