April 19, 2024
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Opinion Politique

Sir Anerood Jugnauth : une détermination exemplaire en ces temps incertains

L’héritage de sir Anerood Jugnauth est plus que modèle en ces temps difficiles de pandémie. Ils représentent le même défi économique et social que les années 1980, caractérisées par un ralentissement économique sans précédent. C’est dans cette situation qu’un dirigeant politique acquiert le statut de chef d’État et le soutien de la population. Pour y parvenir, il faut faire régner la discipline, la rigueur, la transparence et la justice sociale.

En son temps, face à la grave situation économique héritée en 1982 et l’instabilité politique qui viendra s’y ajouter, SAJ fera preuve de détermination, tout en s’appuyant sur une équipe composée de Vishnu Lutchmeenaraidoo et sir Gaëtan Duval, deux hommes qui viendront renforcer l’orientation économique de l’équipe issue de la cassure de 1983. Face à une opposition tout aussi déterminée et sûre d’elle, SAJ connaîtra aussi des déséquilibres dans sa majorité, avec l’affaire des Amsterdam Boys, du nom des quatre parlementaires de son gouvernement arrêtés avec de la drogue en Hollande.

La pression déjà présente des agences de Bretton Woods viendra compliquer la situation économique, lorsque celles-ci exigeront que le gouvernement enlève les subventions sur le riz et la farine et abolisse la gratuité de l’éducation en contrepartie de leur soutien financier. SAJ saura refuser, sachant qu’une telle décision déboucherait sur un véritable soulèvement populaire et une retraite pour le pays. La décision de se tenir debout devant le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) représentait un risque calculé de sa part. Mais il pouvait compter sur l’appui de la population et des ministres. L’orientation que ces derniers donneront à l’économie, en faisant la part des choses entre la satisfaction aux attentes de la population, la confiance aux milieux d’affaires et des législations permettant la création des entreprises, constituera un ensemble de mesures dynamiques.

Inspiration libérale

Mais dans ces choix d’inspiration libérale, il était également nécessaire de raisonner avec la classe syndicale, qui avait ses exigences dans sa poche. Comment désamorcer une telle pression où l’opposition faisait corps avec les syndicats tout en maintenant les acquis de la démocratie et en restant dans les marges des droits et libertés ? SAJ, on le sait, regardait d’un mauvais œil les syndicats, les accusant de trop pousser à la roue avec des revendications qui ne tenaient pas compte des réalités économiques, affirmait-il souvent. Aussi, pour atténuer la pression revendicatrice, il fallait trouver une parade. Elle viendra des entrepreneurs qui ont su repousser les frontières de leurs démarches en allant prospecter jusqu’à Hong Kong, où des entrepreneurs cherchaient à délocaliser leurs entreprises vers des pays qui leur offraient des avantages en termes fiscaux.

Mais ce n’était pas suffisant, car il nous fallait la bonne main-d’oeuvre dans le secteur manufacturier, le bon cadre législatif pour les entrepreneurs étrangers et les zones de libre-échange. Il fallait aussi redonner confiance à une population locale qui désirait bénéficier de faveurs accordées aux étrangers. Le grand mérite de nos leaders a consisté à revitaliser des secteurs comme le tourisme et la fabrication locale. Ce dernier, qui a aussi su développer un gros secteur de sous-traitants, a pu trouver des marchés en Europe pour notre production textile-habillement avec des prix rémunérateurs. Une telle dynamique a perduré pendant des années, avant que notre coût de production, devenu trop cher, n’éloigne certains investisseurs étrangers qui ont trouvé des régions plus favorables comme le Vietnam, la Turquie ou encore le Bangladesh.

Vision à long terme

Dans le concert de reconnaissance à SAJ, où on a beaucoup fait référence aux années dites de «miracle économique», on tend à oublier que grâce à sa vision à long terme du développement, il avait compris que les technologies nouvelles allaient devenir essentielles pour diversifier notre base économique. En misant sur la coopération avec l’Inde — à l’époque leader dans l’informatique et les technologies nouvelles en Asie —, il avait compris qu’une telle «alliance» était essentielle au lancement de cette nouvelle activité dite «intelligente». Le choix porté sur la localité d’Ebène était judicieux et, en même temps, l’alliance du MSM avec le MMM avait fait disparaître toute velléité de critique à l’égard des Indiens. Aujourd’hui, il n’est pas superflu de faire valoir que le «triangle» d’Ebène est devenu l’épicentre des activités intelligentes de Maurice, en ce qu’elle permet aussi au secteur privé, celui de Moka, d’articuler ses développements immobiliers et commerciaux en s’appuyant sur la cyber-cité et sa future connexion avec le métro.

Réaliste et réceptif

C’est dans ce sens que réside la fameuse «vision» attribuée à SAJ, cette capacité à être réaliste et réceptif. Il est aussi vrai qu’un chef d’État n’est jamais un Superman, qui détient toutes les vérités. Aussi lui faut-il un entourage de conseillers à différents niveaux, encore plus pertinent dans un pays pluriculturel comme Maurice, sans ressource naturelle et si loin de ses marchés en Europe. SAJ avait la capacité d’écouter l’homme de la rue ainsi que des économistes, des hommes d’affaires et d’autres professionnels haut placés. Cette diversité d’influences lui a permis de concevoir le développement de l’île Maurice dans sa totalité, d’autant plus que sa propre formation juridique lui a donné une vision additionnelle des choses.

La réalité des années 2020, depuis le début de la Covid-19, redéfinit sans aucun doute les relations humaines sous tous leurs aspects. Mais nous aurons toujours besoin de cette même détermination et de la même «foi» en nous-mêmes pour stimuler l’espérance au sein d’une population en proie aux questions.

CASSAM DHUNNY