April 29, 2024
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2e roman de Gaëlle Belem – “Le fruit le plus rare » :Ode au génie humain !

Prenez tous les fascismes qui ont eu cours au fil du temps sur la planète. Déclinez leurs noms, stalinisme, nazisme, impérialisme, Ségrégation, Inquisition et autres Apartheid, le plus pire d’entre ces systèmes reste l’esclavage des Africains, cette ignoble traite négrière codifiée et  étalée  sur 400 ans.

Et pourtant, malgré l’acharnement, ou l’aveuglément de l’homme pour asservir son prochain, l’esclave n’a jamais été brisé. Et on doit au génie de ceux-là considérés comme « biens meubles », des presque rien !, d’avoir donné au monde  le blues, le jazz, le séga, le maloya, et tant d’autres inventions. Dont la découverte du « fruit le plus rare », l’objet de ce magnifique roman de Gaëlle Belem.

Pour nous, il n’y a pas d’issue possible. Cet ouvrage mérite le Renaudot, et doit aussi être sacré par  le Goncourt et d’autres prix littéraires. Car, l’auteure ressuscite, c’est le cas de le dire, par le biais de son imagination et de ses recherches, le ci-devant Edmond Albius. Que l’histoire des fascistes voulait faire disparaître. Mais voilà l’enfant noir qui s’immisce dans le champ littéraire français. Et qui interpelle tous les « biens-pensants » qui l’avaient voué aux ténèbres. Comme ils le firent aussi pour Jeanne Duval, compagne d’un certain poète, qui fit un séjour aux îles Maurice et Bourbon.

Dès qu’on ouvre ce roman, on ne peut quitter le petit Edmond, « propriété » de Ferréol, botaniste/agriculteur, qui s’est retrouvé sur Bourbon, »un désert que le ministère des Colonies avait transformé en pays d’esclaves pour tenir  l’économie à bout de chaînes. ».C’est chez lui que naît cet Edmond, dont la mère meurt aussitôt en couches. L’occasion pour Pamphile, son père, de prendre la clé des champs.

Destiné à finir dans l’anonymat de l’esclavage, et de mourir sans laisser de traces, Edmond va pourtant devenir le personnage le plus important de cette île. Parce que le génie humain est de toutes les époques. Et personne ne peut empêcher sa floraison ! Cet analphabète va donc montrer, démontrer même, que l’esclave n’était pas que bête de somme. Et que même détaché de son lieu d’origine, de la Grande Terre d’Afrique, il continuerait à être « de la même trempe que les cyclones, imprévisible, énergique et tumultueux. »

Si nous tombons d’amour pour ce petit garçon, c’est aussi parce que la romancière a pris sa plus belle prose pour baliser son parcours. Gaëlle Belem  n’écrit pas sur la vie et l’œuvre d’Edmond Albius. Elle vit la vie de cet enfant hors du commun, et devient, comme dirait Brel, »l’ombre de son ombre », lui prêtant ses mots pour  sortir « cette herbe sans racine » de la boue de l’oubli !

La beauté de ce roman se trouve dans ce lyrisme que l’auteure donne à son langage. Si on sent la main d’Edmond dans la sienne, Gaëlle ne se met jamais en avant. Laissant l’enfant seul nous montrer la cruauté, et l’injustice de ce système toléré par ce fasciste de Napoléon ! Ironiquement, ce roman sort au moment même où la France est rappelée à ses devoirs par les descendants de ceux que ses citoyens avaient voué aux chaînes. Le Mali, le Niger et d’autres pays Africains encore montrent du doigt ce pays qui n’a jamais su les traiter en égal.

C’est du  passé honteux de cette Métropole qu’il est question dans « Le fruit le plus rare ».Car, si Ferréol et d’autres mécènes n’avaient pas insisté, le monde n’aurait jamais su qu’un Edmond Albius avait existé ! Et autre ironie, alors que les « grands » de ce monde disent qu’il faut retourner vers la Nature, et diminuer l’empreinte « Carbone », le roman de Gaëlle Belem rappelle combien la Nature a joué un rôle prépondérant dans l’histoire du monde.

Et de Cortèz aux grandes puissances d’aujourd’hui, le schéma était le même :Piller, dévaliser, génocider. Et effacer  l’empreinte « Carbone », la couleur noire dans ces contrées colonisées. Pour faire croire que les Noirs n’avaient jamais rien inventé. Pourtant, comme l’avait compris Malcolm de Chazal, les fleurs parlent. Et le vanillier va se laisser subjuguer par Edmond. Et le monde ne sera plus jamais pareil !

Il n’y a qu’un seul portrait d’Edmond Albius, lithographié par Antoine Roussin, venu dans l’île pour se refaire une santé financière : »D’Edmond, il reste une lithographie réalisée en 1862, accompagnée d’une notice rédigée par le greffier Volcy-Focard. Il porte une chemise claire sous une grosse veste de toile grise ou blanche comme si, dans ce tropique, il y eut toujours un soupçon d’hiver en lui. Un foulard noué comme un nœud papillon  autour du cou lui donne un air élégant et digne. Son pantalon est du même sombre que l’océan qui sépare Bourbon du possible Mozambique de ses ancêtres… »

Voici donc l’homme qui aurait mérité Légion d’Honneur, même posthumement, de la part de cette France encore et toujours soucieuse d’asservir. Au lieu de reconnaître ce génie humain qui dort en chacun d’entre nous !

Nous en voudrons beaucoup aux jurés des prix  littéraires s’ils ne couronnent pas Gaëlle Belem, déjà en lice pour deux Renaudot et le prix Saveurs et Savoirs. Comme l’écrit l’auteure, »le ciel est trop grand pour abriter un seul trône… »

Que le monde littéraire Français donne un trône à Edmond Albius en récompensant ce chef-d’œuvre écrit en son nom.

Merci Gaëlle Belem !

Sedley Assonne

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