Comme chaque année, à pareille période, l’ile Maurice, soutenue par les radios, verse dans la glorification outrancière de ses lauréats. Faut-il, ici, préciser que la définition même des bourses d’études est fondée sur des critères sociaux, c’est-à-dire en tenant compte des incapacités financières d’un apprenant méritant mais sans ressources. Mais, à Maurice, cette définition prend un sens très singulier, marquée qu’elle est par les dysfonctions dans notre système éducatif. L’école n’étant plus cet espace qui favoriserait l’ascension sociale, selon un terme largement galvaudé.
C’est devenu un évènement aussi crucial que les résultats des élections législatives. La presse mobilise ce jour-là toutes ses ressources pour ‘couvrir’ l’évènement et les expressions déferlent dans un triomphalisme inédit. Pourtant, d’année en annexe, à la lecture des noms des lauréats et de leurs collèges, il ressort que les bénéficiaires ne sont pas tous issus des familles de notables de l’ile. Encore qu’une radio privée a cru indispensable d’informer qu’un des lauréats est le fils d’un ex-ministre travailliste, en sachant que cela n’a aucun rapport. Cela signifie-t-il qu’il s’est passé une mutation économico-sociale dans le milieu de l’éducation ? Il faudrait sans doute des détails sur leur milieu social pour répondre à cette question mais une chose est sure : les enfants des notables – ou d’autres familles – n’ont pas plus besoin d’être lauréats pour poursuivre des études tertiaires et le fait d’avoir été lauréat n’est pas indiqué sur les diplômes ou degrés. C’est au niveau des études universitaires, à Maurice et surtout à l’étranger dans certaines universités huppées, que se vérifient les aptitudes globales d’un boursier mauricien. Après avoir passé toute sa scolarité – de la maternelle au secondaire dans une environnement ultra-protégé et avoir bénéficié de toutes les conditions pour obtenir les meilleurs points -, le jeune mauricien est livré à lui-même à Oxford ou à London. Nous savons que dans certains collèges, dès le Form 111, il se dégage dans les classes une élite d’environ dix élèves qui sont ‘laureatables’ et, contrairement à ce qu’ils affirment, ils ne sont nullement surpris lorsqu’ils entendent leurs noms énoncés par le ministre de l’Éducation lui-meme. C’est vrai, par ailleurs, que la plupart des familles des lauréats n’auraient pas eu les moyens nécessaires pour leur payer des études dans des universités en Europe ou au Canada.
Transition vers les télé-études
Un fait notable est que les lauréats se sont plutôt bien accommodés durant la transition vers les télé- études durant le confinement sans que ce processus ne rompe leur dynamique d’apprentissage. Or, des études menées à l’étranger ont démontré que les études en ligne ne favoriseraient pas les familles modestes car ces derniers ne disposent ni des outils nécessaires pour s’y accommoder – laptop et connexion wifi – ni d’espaces dédiés aux études pour leurs enfants et, eux-mêmes, ne sont pas en mesure de les aider. A ce titre, il faut ajouter une particularité mauricienne dans notre système d’éducation qui consiste à une pluralité de leçons particulières aux enfants jusqu’aux dimanches matins. Une pratique qui coute une véritable fortune lorsqu’on sait qu’il existe des enseignants considérés comme des ‘faiseurs de laureats’ dont les ‘fees’ avoisinent les 1 000 roupies et dont la réputation est connue à travers Maurice.
La plus haute récompense
Placées devant de telles exigences, de nombreuses familles qui elles-aussi aspirent à la plus haute récompense pour leurs enfants en fin d’études secondaires, se voient tout simplement privées de moyens. Les lauréats ont sans aucun doute raison de faire valoir leurs sacrifices personnels, ceux de leurs parents et l’accompagnement des enseignants. Il n’y a pas de miracle à devenir lauréats. Même lorsque les familles et le milieu scolaire offrent tous les moyens en termes d’apprentissage, tous les apprenants ne disposent pas, eux, des mêmes aptitudes pour en profiter. Certains ont les moyens de poursuivre leurs études à l’étranger, d’autres n’y voient aucun intérêt leurs ambitions se limitant au secondaire et, enfin pour d’autres, l’objectif de devenir lauréats étant hors de leurs moyens économiques.
Budget colossal
La question de mettre fin à l’octroi des bourses d’études en fin de secondaire a souvent été posée – et constamment repoussée -, car elle implique un budget colossal de la part du gouvernement et d’autre part, elle soulève aussi la question pertinente de la formation d’une élite locale qui contribuerait au développement de l’ile Maurice. La question est d’évaluer, à ce jour, et avec précision, cette contribution. Quelle est la part réelle des lauréats dans le développement de l’ile Maurice, peut-on la quantifier et mettre un nom dessus ? Dans une ile Maurice post-Covid, où il est question de maintenir le rythme de la relance mais aussi de la nécessité de formation de compétences dans les nouvelles technologies, la question de l’acquisition de compétences est centrale. Il a souvent été démontré que les énergies dépensées par un apprenant depuis le primaire jusqu’à son obtention d’une bourse en fin d’études secondaires, ne le motivaient pas particulièrement à la poursuite des spécialisations. En revanche, un certain nombre de ‘slow learners’ poussaient au plus loin leurs études, – l’Open University mérite d’être citée -, en bénéficiant de stages de perfectionnement de la part de l’État tout à fait justifiés. Faudrait-il repenser les soutiens de l’État dans ce sens où les finances publiques seraient dépensées de manière plus judicieuse car elles seraient véritablement d’intérêt national ?