May 9, 2024
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Opinion

Dev Virahsawmy, l’antihéros

Il est un suspect, ce défilé de personnalités de tout milieu au domicile de Dev Virahsawmy. De la politique à la religion, en passant par quelques journalistes, tout le monde aspire à ce que l’image de l’individu soit celle d’un individu compatissant, sans rancœur ni vengeance. En fait, c’est la personnalité même de Dev – c’est ainsi que les militants l’appelaient –, qui provoque une telle unanimité, car l’homme n’a jamais porté le combat politique dans les gros sabots. Il estime que ce combat-là dans un pays qui a connu l’esclavage et l’engagisme doit d’abord passer par une ‘révolution des consciences’, un peu comme Mao l’a fait en Chine avec sa révolution culturelle et les tragédies que celle-ci a engendrées.

Dès ses premières années d’engagement – c’est lui avec les frères Jeerooburkhan entre autres qui fondent le Club des étudiants mauriciens, l’ancêtre du MMM, avant l’arrivée de Paul Berenger -, il fait montre d’un sens de l’observation aigu de la société mauricienne. Parmi les premiers constats qui se dégagent est celui d’une petite île où l’immense majorité des terres privées est détenue par une bourgeoisie issue de la traite. Mais ce qui deviendra sa thématique de prédilection est l’enjeu des langues. Il est impossible pour une économie qui cherche à se libérer réellement du colonialisme de négliger ses langues maternelles, c’est-à-dire le kreol et le bhojpuri. Après avoir fait ce constat, il va se lancer dans un combat inébranlable pour la reconnaissance de ces langues.

Petite bourgeoisie urbaine

Au sein même de son parti, le MMM, il rencontre de la résistance de la part d’une petite bourgeoisie urbaine francophone qui n’estime pas que le combat de Dev doit être aussi du parti. Cette divergence et d’autres choix, y compris la promotion de la formation des masses et des cadres, ont fini par persuader Dev et quelques autres amis « idéologiques » de claquer la porte sur les mauves. Ils s’en iront alors créer leur propre parti, le MMM-SP, qui met l’accent, entre autres, sur la nature ‘impérialiste’ de l’ex-URSS, un pays qui a la cote auprès du MMM dont le MMM-SP désigne comme le principal ennemi de la révolution socialiste et non pas les États-Unis. Dès lors, ce sera la guerre ouverte entre les partisans des deux formations. Au combat politique, Dev adjoint au tout premier plan le combat culturel dont il fait une véritable revendication afin de « décoloniser les esprits ». Le MMM-SP monte son propre groupe musical, le Grup Soley Ruz où officieront Bam Cuttayen, les frères Joganah, Micheline Virahsawmy, Rosemay Nelson, et Menwar, entre autres. Cette formation rencontrera un vif succès auprès des jeunes tandis que Dev commence à écrire ses premiers en kreol.

Critique sociale

Dès lors et jusqu’à ce jour, il ne se déjugera pas et les événements lui donneront raison – sans oublier la contribution de Ledikasion Pu Travayer – avec la mise sur pied par le gouvernement du Creol Speaking Union (CSU). Pourtant, la critique sociale ne se distingue jamais de son engagement en faveur du kreol lorsqu’il qualifie la bourgeoisie d’État de véritable obstacle au progrès national. À ce moment-là, Dev n’est plus un militant de la gauche maoïste radicale, le monde ne lui paraît plus d’une manière manichéenne. Il y aussi des espaces nuancés entre la bourgeoisie et le prolétariat. Il est proche des idées sociales de l’Eglise, la seule organisation religieuse qui a reconnu l’importance du Kreol comme médium d’enseignement dans les écoles ZEP. Dev y voit une église qui laisse ses portes ouvertes à toute l’humanité au lieu de filtrer les inscriptions en fonction des statuts sociaux.

Conscience environnementale aigue

Au même moment, se crée chez lui une conscience environnementale aiguë qui lui fait dire que la course au matérialisme, à une industrialisation endiablée et à une consommation incontrôlée ne peut que vider à la longue la planète de ses ressources vertes. Parmi ses préoccupations majeures, il liste la nécessité de sécuriser notre accès à l’alimentaire et il sonne l’alerte contre les conséquences du dérèglement climatique sur une petite économie insulaire comme Maurice. Pour lui, l’enjeu climatique est tout aussi important – sinon plus – que le combat politique et ne peut qu’être traité que si les partis l’inscrivent au sommet de leurs priorités et engagent des fonds pour réaliser des projets adéquats. Néanmoins, il faut noter que Dev n’a jamais été complaisant dans ses critiques de la politique et de l’économie, tous les gouvernements ont subi son jugement.

La presse a rapporté des informations inquiétantes sur sa santé, lui-même ayant indiqué que ses jours sont désormais comptés. Formons ici le vœu qui se trompe, mais avant toute chose et comme quelque chose qui était sur sa conscience, il a voulu se réconcilier avec ce qui est combattu. La preuve d’un grand esprit, à la manière d’un Sir Gaëtan Duval, dont il s’était rapproché dans les années 80.

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