May 9, 2024
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Opinion

Dev Virahsawmy : suite et fin d’un chapitre

La triste nouvelle était attendue, Dev Virahsawmy lui-même savait que ses jours étaient comptés. Il est décédé aux petites de mercredi 8 novembre 2023, aux petites heures du matin. C’est la raison pour laquelle il avait souhaité avoir un dernier dialogue avec Paul Bérenger et le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Pas pour les mêmes raisons, mais avec le même sentiment d’être parti le cœur tranquille et sans laisser de rancœur. En ces temps où les hommes politiques ne sont pas capables d’entretenir entre eux des relations civilisées et se nourrissent de haine, Dev a donné un bel exemple d’humilité qui s’inscrit sans aucun doute dans une amorce de réflexion qui l’avait conduit à dédiaboliser le PMSD dans les années 80. C’était le profond désir d’un homme de combat qui voulait être en paix avec lui-même, avec sans doute le regret de n’avoir pas pu voir le kreol adopté comme médium d’enseignement dans le milieu scolaire.

Linguiste

Avec Paul Bérenger, alors qu’ils ont tous deux été scolarisés dans des collèges catholiques privés et créé le MMM, tout en fait les séparait. Dev Virahsawmy est issu d’un milieu bourgeois hindou rural alors que Paul Bérenger vient d’une famille catholique modeste. Quoique réunis par la même cause socialiste, Dev Virahsawmy n’est pas véritablement partisan de l’action violente pour la prise de pouvoir, étant de formation un linguiste, ce qui le conduit à réfléchir à la fonction des langues maternelles dans un pays issu de la colonisation. Il avait compris qu’il ne pouvait avoir de véritables indépendances aussi longtemps que les esprits restaient culturellement colonisés. Or Paul Bérenger, revenu fraîchement des événements de Mai-68 en France – et sans y avoir participé ! -, est lui un homme pressé, nourri par l’agit-prop, mais qui accorde une oreille attentive au combat linguistique de Dev. Pour Paul Bérenger, il faut le pouvoir à tout prix, battre le fer pendant qu’il est chaud et sans passer sans les élections, un moyen avec lequel il s’accorde avec Dev. Mais aux yeux de ce dernier, un peuple sans formation politique et ignorant des enjeux et défis inhérents à l’exercice du pouvoir, ne saura jamais gouverner un pays. Il est convaincu que les conditions subjectives et objectives ne sont pas prêtes au début des années 70 et bien des années plus tard, il reconnaîtra que sa victoire à l’élection partielle de Triolet/Pamplemousses ne pouvait en aucun cas préfigurer un raz-de-marée mauve si jamais des élections générales étaient organisées. Il avait, effectivement vu juste, car en dépit des meetings ‘monstres’ du MMM en 1976, ce parti n’a pas été en mesure de remporter une majorité suffisante aux élections générales la même année.

Promotion de la langue kreol

Toute la réflexion politique de Dev Virahsawmy s’est articulée autour de la promotion de la langue kreol au service de l’éducation et l’émancipation des individus dans une société où l’argent ne sera pas roi. Le développement et le bonheur ne peuvent être accomplis dans l’exclusion. A ce titre, il se félicitera de l’action de l’Église qui fera de la Grafi Larmoni, une version standardisée du kreol qui sera introduite dans les écoles du ZEP. Mais Dev se désolera du manque d’enthousiasme et de moyens de la part de l’État pour soutenir ce projet. Cette collaboration avec l’Église trouvera son aboutissement avec une logique qui selon Dev expliquera sa conversion au christianisme. Une religion qui, selon lui, répond à ses interrogations existentialistes pour lui dont le handicap à la main avait valu son exclusion de la famille, dira-t-il plus tard. C’est aussi un choix qui intervient après sa critique du marxisme qui, certes, contient des analyses pertinentes sur les classes sociales, un mode de production aliénant et qui dévore les ressources naturelles, mais qui refuse aux individus la possibilité de croire à un au-delà. Dev Virahsamy s’est attelé à une démarche profonde qui a consisté à envisager le développement du Mauricien dans un contexte culturel intégré. 

Harmonie

À ses yeux, dans un pays de peuplement comme l’île Maurice où les communautés se côtoient, il ne peut exister d’autre facteur garantissant l’harmonie que la culture. Et celle-ci s’exprime à travers toutes ses formes : la danse, le théâtre, la littérature, les beaux-arts. Mais, dans un pays au passé marqué par l’esclavage et l’engagisme, l’expression de la culture revêt forcément une autre dimension, devant être dynamique et progressive. Durant ces derniers temps, il était devenu très sensible à l’écologie, fustigeant un développement foncier mettant à mal notre réalité insulaire.

Il est fort regrettable que toute sa production littéraire en kreol n’ait jamais été reconnue par l’État de son vivant. On peut dès lors comprendre qu’il a décidé d’en faire don à l’Église et souhaité que l’État achète ses droits d’auteur pour Rs 10 millions afin que son œuvre devienne un patrimoine de l’État et de la population.

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