Véronique Wan Hok Chee, exerce le métier de psychologue depuis bientôt 25 ans. Après ses études secondaires au Couvent de Lorette de Curepipe, elle s’envole pour Le Mirail à Toulouse en France; plus connu depuis 2014 comme l’Université Jean Jaurès. Elle se spécialise en psychologie clinicienne, axée principalement sur le comportement, la personnalité et les émotions. De retour au pays, elle a travaillé dix ans dans les hôpitaux sous le Ministère de la Santé, avant de se mettre à son propre compte. Le travail de psychologue, dit-elle, « est un travail à long terme et de longue haleine qui requiert un suivi au cas par cas ». Les thérapies de groupes ajoute-elle, « ne permettent pas de suivis continus, et sont vouées à l’échec, c’est un éternel recommencement au détriment du patient ! ». C’est avec énergie et passion qu’elle nous a livré les propos suivants sur la violence conjugale.
Véronique Wan, après vos études secondaires, qu’est-ce qui a déclenché chez vous l’envie de devenir psychologue?
Depuis l’école, j’ai toujours été à l’écoute de mes amies de classe. Je passais des récréations entières à les écouter raconter leurs soucis, et, sans le savoir, j’ai découvert mon intérêt pour l’écoute. Je les aidais en les réconfortant et à évacuer leurs émotions. Nous faisions aussi des analyses de textes psychologiques durant les classes de littérature française, je trouvais ça passionnant. Ce n’est donc pas un hasard que je choisis cette filière pour mes études tertiaires.
Vous vous êtes spécialisée en psychologie clinicienne, pourriez-vous nous en dire plus ?
La psychologie est très vaste. Je me suis spécialisée en psycho pathologie clinique me permettant de mieux cerner les personnalités, le caractériel et le comportement humain en général. L’infidélité, les conflits, la mésentente au sein des couples, les interférences parentales, le comportement sexuel entre conjoints sont parmi les différents sujets de mon cursus universitaire. Tous ces thèmes sont étroitement liés à la violence conjugale.
En tant que psychologue, quelle serait votre définition de la violence?
La violence est avant tout le résultat d’un manque de contrôle sur nos émotions. De plus en plus, les conjoints ne peuvent plus se supporter et perdent le contrôle d’eux -mêmes. Il n’y a plus de conversation, il faut élever la voix pour se faire entendre et se faire comprendre. Il nous est devenu difficile de gérer nos pulsions et nos impulsions. Nos pulsions, c’est l’envie ou le désir d’exploser, tandis que ce sont nos impulsions qui nous poussent à éclater. C’est là que se manifeste la perte de contrôle et le trop-plein, les conjoints ne sont plus à l’écoute de l’autre, le corps réagit sous la tension des remarques et des attaques personnelles, et cela se termine très souvent par le passage à l’acte. Apprendre à gérer son ressenti pourrait éviter bien des malentendus au sein des couples.
Nous constatons une augmentation significative de la violence conjugale à Maurice, quelles en sont les principales causes d’après vous ?
Je dirai que l’incompréhension, l’absence de communication, l’agacement et le manque de respect envers l’autre en sont les principales causes. Une maltraitance parentale au cours de l’enfance peut avoir des répercussions fatales à l’âge adulte. Un enfant ayant vécu dans un environnement violent, va répercuter la violence dans son couple et à ses enfants plus tard. C’est un cercle vicieux qui se perpétue malheureusement de génération en génération ; si les parents sont violents, les enfants emboîtent le pas, et cela s’enchaîne de père en fils.
Selon-vous, est-ce que la colère et la violence conjugale marchent de pair ?
Oui certainement. Lorsqu’un mari découvre l’infidélité de sa femme, il perd tous ses sens ! Ses hormones mâles jouent, et il devient automatiquement violent physiquement. C’est une réaction normale. Dans le cas contraire, une femme qui découvre l’infidélité de son mari, ne se défendra pas par des coups ; étant plus faible physiquement, elle va pleurer, utilisera sans doute des injures sans pouvoir aller plus loin. Rares sont les cas où les femmes ont tué leurs maris lors d’une dispute conjugale.
A votre avis, les oppositions d’idées et les divergences religieuses au sein d’un couple peuvent-elles déclencher la violence ?
Je pense que les situations peuvent déraper si l’un des conjoints vit sa religion un peu plus à l’extrême que l’autre. Nous constatons que certains mouvements sectaires peuvent prêcher des interdits à outrance aux fidèles ; ceci pourrait empiéter sur la vie d’un couple. Une femme qui négligerait par exemple ses tâches ménagères pour se rendre sur des lieux de culte 3 à 4 fois la semaine pourrait être la cause de conflits conjugaux. Les pratiques superstitieuses pourraient aussi venir déclencher de la violence au sein d’un couple.
Quelles sont d’après-vous les caractéristiques de la violence conjugale ?
Il existe plusieurs formes de violences conjugales. Elles peuvent être physiques, verbales, psychologiques, économiques et émotionnelles. La femme est souvent considérée comme le « second bread earner » de la famille ; au cas où elle toucherait plus que son époux, dans bien des cas, c’est le mari qui gère les finances. La femme se voit alors contrainte de devoir demander l’autorisation du mari avant de faire des dépenses pour la famille. La privation d’argent pour les besoins primaires de la maison est sujette à discorde. La maltraitance émotionnelle existe dans toutes les couches de la société. Nous constatons aussi que les « sexual craze » au sein des couples gagne du terrain à Maurice ; le besoin de mettre à exécution des fantasmes de toute sorte ; imposition d’échangisme par exemple pour « pimenter » l’acte sexuel. Les orgies se multiplient, faire l’amour à trois ou à quatre est devenu « normal » pour beaucoup. Si la femme ne joue pas le jeu, cela peut engendrer de la violence de la part du mari avide de « nouvelles sensations ».
Les réseaux sociaux, internet, facebook ont-ils eu une influence néfaste sur les couples ?
Oui, beaucoup de sites proposent des interdits sexuels aux utilisateurs qui veulent essayer de nouvelles expériences. Les plus pervers veulent y entraîner leurs épouses aussi. D’autres hommes vont vivre cette expérience ailleurs, souvent avec des plus jeunes, ou avec des femmes plus mûres. L’homme se laisse malheureusement tenter aisément par ces interdits au détriment de son couple.
A l’ère de la communication, qu’est-ce qui explique le manque de dialogue entre époux ?
Les conjoints ne sont plus à l’écoute de l’autre. Il est plus facile de communiquer par ‘whatsapp’ ou par ‘messenger’. Le dialogue verbal est devenu un problème, les messages virtuels ont pris le dessus sur le contact humain. Remarquez, si un message est fait virtuellement ça passe plus facilement que s’il est fait verbalement : « gra matin kan mo diman mo mari ki ler li pou rentre, la guer lever, kan tanto mo diman li mem zafair lor message tou pass korek, li repon normal » me disait une cliente. Les couples n’ont plus rien à se dire, la parole est devenue une agression. Aujourd’hui pour rendre visite à un proche par exemple, il faut prévenir, envoyer un sms, voire même prendre rendez-vous ! Vous ne pouvez plus « débarquer » quand vous voulez chez quelqu’un, ça dérange !
De plus en plus, les femmes sont victimes de décès suite aux coups et à la violence physique de leurs conjoints, pensez-vous que les lois devraient être plus sévères à cet effet ?
Emprisonner un mari violent ne va pas changer les choses ! Il y a la loi, et l’esprit de la loi, tout acte criminel doit certainement être condamnable. Pour corriger la violence, un accompagnement psychologique individuel est primordial en milieu carcéral, les thérapies de groupe ne sont pas conseillées car elles ne s’adaptent pas à tous les cas. Sans accompagnement psychologique, les détenus ayant purgé leurs peines pour violences conjugales, sortent de prison « back to square one » et récidivent. Je pense que le gouvernement devrait veiller à ce que les suivis psychologiques soient étalés sur du long terme et non sous contrat. C’est un travail colossal, mais pas impossible; voir et accompagner un détenu pendant 6 mois ou 1 an ne suffit pas, il faut un accompagnement constant et régulier avec le même individu pour voir des résultats.
Quel lien feriez-vous entre la drogue et la violence conjugale ?
Un mari qui se drogue peut devenir nerveux s’il n’a plus d’argent pour s’acheter ses doses. Il peut se mettre à tout vendre dans la maison pour pouvoir se droguer. Cela devient source de conflit dans le couple. Il faut cependant aussi comprendre que la toxicomanie est une maladie, qui affecte qu’on le veuille ou non, l’harmonie d’un couple.
Il y a de plus en plus de scènes de violence dans les dessins animés et à la télé en général, pensez-vous que les parents devraient limiter le visionnage excessif de ces images aux enfants ?
Un enfant qui regarde des scènes violentes dans un dessin animé pense que c’est la réalité de la vie. Par ailleurs, nous notons de plus en plus d’enfants turbulents et violents dès la maternelle. Les parents doivent pouvoir limiter les heures de télé de leurs enfants, chose pas toujours facile ! Il n’y a pas que des dessins animés violents ; les chansons comportent aussi des propos vulgaires, les clips musicaux ont presque toutes de connotations sexuelles à outrance, et les actes pervers sont diffusés à n’importe quelle heure. Toutes ses images agressent et engendrent inconsciemment de la violence chez l’enfant.
La pauvreté serait-elle un facteur pouvant engendrer la violence au sein des couples ?
Certainement pas, cela ne dépend que du « up-bringing » des conjoints. Si, de père en fils, le règlement de conflits s’est toujours fait en passant par un schéma de force et sans aucun respect pour la femme, toutes les générations suivront l’exemple des aînés, en passant par les oncles et autres. Etre pauvre n’égale pas systématiquement à violence.
Nous notons un désintéressement du voisinage et de la force policière à voler au secours de femmes violentées, D’où vient ce manque d’intérêt selon-vous ?
La violence conjugale est complexe. Le dénonciateur a souvent peur de se retrouver en victime. Il a peur de représailles une fois que le couple redeviendrait en de bons termes. Personne n’est protégé contre la violence, même pas la police. Un individu en colère peut tout violenter au passage.
En conclusion, que pourriez-vous suggérer pour rompre le cycle de la violence au sein des couples et de la société en général ?
Premièrement, les auteurs de violence doivent pouvoir avoir recours à une aide psychologique et psychiatrique. Les maris hyper jaloux et possessifs avec une défaillance narcissique et des problèmes de stress et d’égo devraient consulter des professionnels continuellement. Deuxièmement, les actes de violence devraient pouvoir être dénoncés 24/7 dans l’anonymat sur un Hot Line et non de 09h00 à 16h00 uniquement. Et, troisièmement, conscientiser les enfants dès la maternelle sur le respect envers la femme. Nous n’avons qu’une dizaine de psychologues au sein du Ministère de l’Education pour encadrer les élèves de 300 écoles, collèges et universités. Le chemin à parcourir reste encore long si nous voulons un suivi psychologique continu au niveau des institutions scolaires ! Les degrés et BSC en psychologie offerts par l’Université de Maurice ne suffisent pas à former suffisamment de psychologues sans qu’ils n’aient besoin de se rendre à l’étranger pour se spécialiser. De plus, il faudrait réapprendre à la société mauricienne à aimer et à respecter son alter égo en transposant la violence dans le ressenti. « Ne fais pas à l’autre ce que tu n’aimerais pas que l’autre te fasse ! ».