May 8, 2024
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Opinion

Édito – Pourquoi le mal-vivre progresse ici ?

Pourquoi se suicide—t-on ? Selon le ministère de la Santé, ce phénomène serait lié aux problèmes de santé mentale, aux troubles bipolaires, à la toxicomanie, voire même aux antécédents familiaux. En tout cas, ils ont été 105 Mauriciens qui ont préféré se suicider cette année.

Et cent de nos compatriotes qui décident, sur un coup de tête ou après réflexion, de quitter ce bas monde, a de quoi interpeller.

Pourquoi le mal-vivre progresse autant ici ? Est-ce parce que le fossé entre riches et pauvres se creuse d’année en année, les plus démunis préférant alors mettre fin à leur vie plutôt que de faire face à un monde qui devient de plus en plus indifférent à leur sort ?

Si nous n’avons pas réponse à de tels drames, il revient à l’Etat de se pencher sur la question. Le ministre Kailash Jagatpal a donné les chiffres, et si les statistiques permettent de comptabiliser, qu’est-ce qui est alors fait, en amont, pour qu’aucun d’entre nous ne soit tenté de commettre l’irréparable ? Bien entendu, le suicide est un choix personnel. Et l’Etat n’est en rien responsable de ce qu’un individu décide. Mais il est toujours du devoir de l’Etat de s’assurer que chaque Mauricien puisse faire face à la vie dans les mêmes conditions. En somme, promouvoir l’égalité des chances pour tous.

Mais quand même les services essentiels pourvus par l’Etat, comme la santé, l’éducation et la pension aux retraités, ne respectent pas ce devoir d’écoute, il est clair que  certains d’entre nous puissent se sentir délaissés. On en veut pour preuve la façon dont sont « cuits » les menus pour les hôpitaux, comme l’ont révélé deux députés de l’opposition. Qui ont dénoncé l’entreposage de la nourriture destiné aux malades. Si on n’est pas bien traité au niveau des hôpitaux, cela signifie que le service de santé ne prend pas soin de nous. Pareil pour les écoles. Alors que tous les pédagogues plaident pour l’inclusion du créole dans le cursus scolaire, les langues étrangères restent privilégiées. Et n’est-ce pas ainsi que la schizophrénie s’insinue dans les têtes de nos enfants ? Et ne parlons pas des personnes âgées, devenues proies électorales. Alors que cette catégorie de personnes fait face à d’innombrables problèmes au quotidien !

Le ministre de la Santé, évoquant les facteurs de risque, parle « d’accès facile aux armes à feu, aux médicaments ou à d’autres moyens mortels; l’isolement social; une maladie physique chronique; des problèmes relationnels ; un stress professionnel ou financier ; des questions juridiques ou pénales, et la stigmatisation et les obstacles. « 

Tous les Mauriciens n’ont pas d’armes à feu chez eux. Mais les problèmes relationnels, avec des enfants ou des parents qui ne s’entendent plus, des Seniors « dumpés » dans des maisons de retraite, dont beaucoup ne sont pas aux normes !,des femmes battues incapables de trouver leur place dans la société, ou dans un shelter, parce que bondé !,et quand on sait que l’on parle de travailleurs étrangers de plus en plus présents sur le marché du travail, »volant » leur pain aux Mauriciens, on a là un cocktail social que l’Etat se doit de tackle au plus vite. Car, tout est lié.

Car,il faut le dire,le désengagement de l’Etat envers ses citoyens est une cause première si un Mauricien se sent abandonné. Il suffit d’écouter « Xplik ou ka » à la radio pour comprendre combien certains d’entre nous sont laissés à eux-mêmes. Que ce soit pour une opération à l’étranger, ou pour des simples démarches administratives. Il n’y a plus d’écoute de la part de ceux censés être au service des démunis. Et au lieu d’empathie, c’est l’arrogance qui prime dans l’accueil qui est fait à ces personnes en détresse.

Alors, une Suicide Prevention Strategy ne résoudra rien si nos systèmes d’Etat-providence faillissent à leur rôle d’entraide. Croire par exemple qu’une  hotline, le 188, peut empêcher quelqu’un de commettre l’irréparable, c’est cultiver non seulement la naïveté, mais aussi faire preuve d’orgueil. Car, pratiquement toutes les « hotlines » mises  sur pied par l’Etat ne fonctionnent pas 24 sur 24, mais seulement de 9h à 16h.Et c’est toujours un miracle si on a quelqu’un au bout du fil. Ceux qui font appel au SAMU sur le 114 peuvent en témoigner !

Il y a toute une approche à adopter. Mais, c’est surtout  l’aspect humain qui doit primer. Aujourd’hui, plus personne n’a le temps d’écouter l’autre. Et surtout celui qui est payé pour le faire ne joue pas le rôle qui lui a été dévolu. Et c’est pour toutes ces raisons que nous avons perdu cent des nôtres cette année. Et malheureusement, ce nombre risque d’augmenter. Surtout si  nous ne faisons pas preuve de plus d’empathie envers les autres !

Sedley Assonne

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