April 29, 2024
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Entretien avec Ari Gautier – « Je porte en moi l’âme insulaire »

Décrit comme ” l’un des plus grands conteurs de notre époque ” par l’écrivain français primé Alain Mabanckou, l’auteur francophone Ari Gautier, né d´une mère Malgache et d´un père Tamoul a passé son enfance dans l’ancienne colonie française de Pondichéry, en Inde du Sud.

Après quelques années passées en France, Il vit actuellement à Oslo, Ari Gautier a pour ambition d´épingler Pondichéry sur la carte littéraire française. Il est l’auteur de Carnet Secret de Lakshmi, Le Thinnai et Nocturne Pondichéry trois ouvrages qui mêlent de manière créative plusieurs langues dont le français, le tamoul, le sanskrit, le créole Pondichérien et l’anglais. Ses récentes nouvelles publiées dans plusieurs magazines littéraires explorent les langues et les mondes créoles de l’océan Indien.

Qui est Ari Gautier ?

–Si écrire est un acte politique, alors mon écriture l´est aussi, car elle revendique une mémoire effacée, une histoire non-racontée. Les Français qui sont restés pendant trois siècles à Pondichéry ont écrits et continuent à écrire notre histoire à notre place. Il est temps de mettre fin au roman colonial et de faire naitre une littérature francophone indienne à travers la perspective de l´indigène. En m´investissant entièrement à écrire sur Pondichéry, je m´approprie une histoire méconnue. 

Corrigez-moi si je me trompe, mais vous êtes fasciné par un temps qui n’est plus. A savoir le Comptoir Français de Pondichéry. C’est délibéré ou pas ?

–Il me parait important de raconter mes histoires et l´histoire de la colonisation française en Inde, à travers ma perspective dans une langue commune que je partage avec le pays qui m´a colonisé. Les histoires de ces blessures anciennes qui peinent à cicatriser doivent être écrites par les Indiens, pour que les Français aussi n´oublient pas leur passé colonial. En racontant l´histoire de Pondichéry, je raconte aussi un pan de l´histoire de l´esclavagisme et de l´engagisme qui n´a jamais été raconté. Pondichéry a une histoire commune avec les Mascareignes et les Caraïbes à travers l´engagisme. Et cette histoire n´est pas encore écrite, et c´est à ça que je me suis attelé. J´avais déjà commencé avec la Guadeloupe dans mon deuxième roman « Le Thinnai », et je continue avec les Mascareignes dans mon quatrième ouvrage en ce moment. Mais je ne parle pas que du passé. Mon recueil de nouvelles « Nocturne Pondichéry »  parle d´une Pondichéry actuelle.

D’origine insulaire, vous vivez maintenant en Europe. Est-ce que ce « déplacement » influe sur votre écriture ?

–Je porte en moi l´âme insulaire même si je n´ai jamais vécu à Madagascar, où je suis né.  De façon inconsciente, je suis inspiré par le monde archipélagique. L´histoire de ces îles qui mettent en contact des peuples différents, pour former une créolité, me fascine et me donne matière à réfléchir et à écrire. Et je crois que c´est parce que je suis sur le continent que mes mots se tournent vers l´île.  Mes pieds peuvent être sur la terre ferme, mais ma tête est dans les vagues. 

-Vous serez, pour la première fois, à Maurice. Que diriez-vous aux Mauriciens ?

–Nous avons une histoire commune. Les premiers mauriciens sont tamouls. Ils sont partis de Pondichéry et de ses alentours, et les bateaux qui venaient à Pondichéry, s´arrêtaient à Maurice.  A travers l´engagisme nous avons des divinités, des croyances et des coutumes identiques. Par- dessous tout, nous avons un héritage culinaire commun. Je me sens attaché à Maurice par mes esclaves malgaches et mes engagés tamouls. Je porte en moi cette mémoire douloureuse. En venant chez vous, je reviens chez moi.

Propos recueillis par Sedley Assonne

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