Opinion
La criminalité financière : un système international impliquant l’ile Maurice
Le ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance Mahen Seeruttun a annoncé la présentation prochaine d’un texte de loi portant sur la mise sur pied d’une Financial Crime Commission. Une decision qui va dans droit dans les ambitions de l’ile Maurice de s’affirmer comme une juridiction normée afin de traquer les délits liés à la finance. Nous savons avec quelle promptitude le ministre Seeruttun avait répondu à la présence de notre juridiction sur les listes grise et noire de l’OCDE quelques années de cela. La tentation est grande chez certains professionnels de la finance à l’ile Maurice de céder au blanchiment de l’argent mal acquis de même que de saisir de l’apparition des cryptos monnaies pour s’adonner à des pratiques illégales. Il faut dire que des opérateurs dans le milieu de la finance recherchent souvent des petites juridictions souvent anonymes pour commettre leurs délits. Pour certains d’entre eux, l’ile Maurice apparait comme cet endroit de rêve. Selon Johnson Matthey, une entreprise chimique britannique faisant partie de l’indice FTSE 100 – l’indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées -, la criminalité financière comprend le blanchiment des capitaux, l’évasion fiscale, le financement du terrorisme et toute autre activité illégale qui dissimule l’origine des produits du crime.
Scandales financiers
Il convient de faire ressortir que depuis quelques années, nous assistons de par le monde, à des scandales financiers de nature criminelle et ce, au sein d’entreprises de différentes tailles à l’instar du scandale d’Enron en 2001, ou encore dans le cas de la Société Générale en France en 2008. Ce scandale ne s’est pas limité aux pays développés, il s’est propagé peu à peu pour toucher les pays émergents, provoquant ainsi des désastres financiers. Certes, les gouvernements et entreprises ont mis des systèmes de sécurité – les fameux ‘Flags’ outrancièrement vantés ! – apparemment inviolables, des procédures d’audit et de contrôle interne ainsi que des mécanismes de gouvernance supposés efficaces, mais ils ont oublié que ce sont des ‘hommes’ qui sont a l’origine de toutes ces règlementations et techniques. Connaissant toutes les failles du système, ces individus peuvent le contourner sans difficulté aucune.
Facteurs économiques et sociaux
Faut-il dès lors blâmer la comptabilité ou la loi pour leur incapacité à éviter tel ou tel crime financier ou plutôt se concentrer sur les individus eux-mêmes qui évoluent au sein de l’entreprise ? A ce titre, certains observateurs font observer que l’influence des facteurs économiques et sociaux dans la criminalité financière, confirmée par l’histoire et l’expérience quotidienne, n’exclut pas celle des facteurs individuels. Ceux-ci, au contraire, complètent ceux-là : car il est maintenant démontré par l’étude de tous les phénomènes du crime, qu’il serait inexact de tout attribuer à l’action du milieu, que de restreindre la genèse du délit a la seule perversité de l’argent. Il serait donc plus judicieux, en étudiant la criminalité financière, d’analyser les caractéristiques individuelles, afin d’isoler les individus les plus enclins à commettre des crimes. En entreprise, le but d’une telle démarche, est de comprendre si certains employés sont plus susceptibles de frauder que d’autres, ou bien si les fraudes sont plutôt commises par ces employés de façon aléatoire et par conséquent ne répondant à aucune règle objective.
L’affaire Madoff
La criminalité financière vient poser la question se rapportant à la nature des délits, à celles/ceux qui les commettent et les peines encourues. Pour celles et ceux qui suivent de près ces affaires, l’affaire Madoff du nom de l’escroc américain Bernard Madoff qui, pendant plus de quinze ans avait détourné 65 milliards de dollars, malgré une certaine respectabilité à Wall Street. Il avait été condamné en 2009 à une peine de cent cinquante ans de prison où il est décédé à l’âge de 82 ans. Le cas ‘Madoff’ est un cas d’école qui illustre la faillite d’un système qu’on disait pourtant à toute épreuve. En effet, si dès 1992, des investisseurs suspicieux avaient alerter la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier américain, celle-ci avait classé systématiquement les enquêtes après de simples contrôles de surface. Non seulement aucune inspection sérieuse n’avait été diligentée mais ces brèves investigations avaient renforcé la crédibilité du système Madoff. Découverte en décembre 2008, la fraude pyramidale, dite « à la Ponzi » que Madoff avait mise en place, consistait à piocher dans les finances de ses nouveaux clients pour rétribuer des investisseurs plus anciens. Le mécanisme frauduleux était très simple puisqu’il promettait des taux de rentabilité annuelle a deux chiffres en distribuant des ‘intérêts’ puisés, en fait, dans les capitaux apportés par de nouveaux clients. Un système qu’un grand groupe engagé dans l’assurance avait essayé de répliquer à l’ile Maurice !
Marchés illégaux et marchés légaux
Dans un récent texte, intitulé ‘Criminalité financière’, Philippe Broyer s’interroge sur « les comportements d’organisations criminelles en tant qu’agents économiques ». La difficulté d’analyse provient du fait que ces organisations sont présentes à la fois sur les marchés illégaux et sur les marchés légaux. Il importe également de savoir si les organisations criminelles mettent en œuvre des stratégies en fonction de la nature des marchés ; les méthodes utilisées de longue date sur les marchés illégaux sont-elles transposables sur les marchés légaux se demande Philippe Broyer ? On est ainsi amené à réfléchir sur les caractéristiques de l’économie et de la finance criminelle pour tenter de mieux comprendre les mécanismes qui ont conduit a la criminalisation des régions entières, voire de certains pays. Le blanchiment apparait alors progressivement sous un jour nouveau. Ce qui nous amène à réfléchir à certains fonds d’investissement installés dans des juridictions classées comme paradis fiscaux – il est intéressant de noter que les iles Caïmans, les iles Vierges britanniques, Guernesey et Jersey sont des territoires britanniques d’outre-mer ou des dépendances de la Couronne, et ainsi guère soupçonnables de délits financiers -, et qui souvent jettent leur dévolu sur des pays en développement à des fins d’investissement. L’indice des paradis fiscaux du Réseau pour la justice fiscale classe aux trois premiers rangs les iles Vierges britanniques, les Bermudes et les iles Caïmans, toutes entites territoriales britanniques. Des études menées par des ONG engagées dans la traque d’argent sale ont démontré que de l’argent mal acquis – provenant du trafic des drogues, détournement de fonds souverains par des chefs d’États ou de simples individus fuyant le fisc de leurs pays respectifs avec la complicité des banques, entre autres -, est blanchi dans ces paradis fiscaux puis investis dans de pays en développement. Il n’est pas rare qu’au nom du développement et de l’essor de leurs pays respectifs, des gouvernements ferment un œil pudique sur l’origine de ces investissements pour peu que ces derniers réconfortent leurs positions politiques. Mais pour qu’une démarche réussisse, il faut à tout prix que certains organismes publics et privés engagés dans la l’activité financière et le droit financier regardent ailleurs ou feignent de ne rien voir. Et à l’heure où les circuits mondiaux de la finance deviennent de plus en complexes, certains peuvent toujours avancer que certains détails peuvent échapper à leur vigilance.