April 20, 2024
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Opinion

Le défi alimentaire : le consommateur au pied du mur

Au moment où les prix des légumes commencent à amorcer la courbe, voilà que ceux des huiles, Riz et autres céréales commencent à monter de manière vertigineuse. Et dans le sillage, les marchands de gâteaux salés, dont les ‘dhollpuri’, n’y sont pas allés de mainmorte, en majorant sans sourciller leurs prix. Le gouvernement n’y peut rien contre cette tendance qui était prévisible. Mais, ce qui est à craindre, c’est d’assister à une véritable contraction de la consommation, avec des consommateurs devenant très prudents comme ce fut le cas en 2020. Il y a cependant matière à se réjouir pour nos maraichers qui verront une véritable ruée vers les légumes frais locaux au grand dam des produits alimentaires transformés importés. Les dernières mercuriales affichent déjà des prix qui indiquent des baisses prometteuses. Mais les prochains mois risquent d’être durs à tenir pour les consommateurs…

Guerre d’usure

Car rien n’indique une accalmie sur le front de la guerre en Ukraine. Au contraire, les Américains et Britanniques souhaitent vaincre Vladimir Poutine par une guerre d’usure qui amoindrirait profondément l’économie de la Fédération de Russie, jusqu’à réduire leur dépendance de ses carburants et céréales. Car l’occasion est trop belle pour ces deux pays qui savent que par ricochet, c’est aussi la Chine qui s’en retrouverait fragilisée dans ses échanges commerciaux avec les États-Unis notamment. L’occasion aussi pour l’ile Maurice de se chercher d’autres sources d’approvisionnement.

Depuis ces dix dernières années, nos importateurs ont profité de la fin des monopoles pour diversifier ces sources. Ce choix s’offrait tout naturellement lorsque l’Inde, la Chine, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud (BRICS) se présentaient comme les nouveaux pôles économiques mondiaux. Mais, depuis, la crise pandémique est passée par là, suivie par la guerre en Ukraine et ces nouvelles puissances économiques ont dû réorienter leurs priorités vers la satisfaction de leurs propres marchés. Nous savons que de nombreux pays producteurs en alimentation d’Europe ont délocalisé leurs sites de production en Asie du Sud-Est, dont la Malaisie ou en Asie (le Pakistan), car de nouveaux marchés s’ouvraient à eux dans ces régions, dont la Chine, l’Inde, le Japon ou encore la Malaisie et l’Australie. C’est de cette façon qu’à Maurice, nous avons pu nous-mêmes diversifier nos sources grâce à ces nouveaux pays producteurs.

Diversité de nos sources

Régulièrement, à la faveur des interviews, des opérateurs mauriciens engagés dans l’importation et dans la distribution locale des produits alimentaires manufacturés font ressortir que la diversité de nos sources d’approvisionnement nous permettait d’être à l’abri des ruptures. D’ailleurs, à chaque alerte sur celles-ci suivies par la prise d’assaut des rayons d’huiles ou de riz, nous constatons par la suite que la situation retournait à la normale dans les semaines suivantes. Mais est-ce que cette fois-ci la situation risque d’être un peu plus compliquée après le retrait des subventions sur un certain nombre de denrées alimentaires ?

Les huiles et le lait, le beurre, la farine et autres céréales sont parmi les produits alimentaires indispensables pour une alimentation équilibrée, surtout au sein d’une population très touchée par les maladies non-transmissibles. Mais existe-t-il des produits alimentaires de substitution à Maurice ? À ce jour, il est regrettable qu’aucun diététicien ou nutritionniste n’ait proposé une telle liste. Car il faudra que la population tienne encore de très longs mois avant que la situation alimentaire ne se normalise en Europe. Entretemps et après une excellente première initiative du gouvernement à louer deux navires destinés à l’exportation et l’importation, il conviendrait sans doute de trouver des accords avec des pays africains membres des blocs économiques régionaux pour répondre aux menaces de rupture alimentaire.

La semoule et la farine

Nous savons que des pays Maghreb étaient déjà touchés à l’approche du Ramadan par la flambée de prix de la semoule et de la farine. L’économiste Aroni Chaudhari, de l’Africa & Coordinator au Group Economic Research Department (DREG), Coface, mettait déjà en garde : « L’inflation, c’est le principal risque de la guerre en Ukraine. Pour les pays importateurs nets de nourriture, il y aura une conséquence directe sur la sécurité alimentaire et sur les prix à la consommation ». Mais la situation est particulièrement alarmante pour le blé, trente-deux pays important plus de 90 % de leur consommation. L’économie africaine est frappée par un double handicap : les séquelles difficilement gérables du coronavirus et les conditions climatiques défavorables qui donnent le tournis aux agriculteurs. Il y a aussi le fait que cette troisième source de grandes inquiétudes qu’est la crise entre la Russie menace non seulement la sécurité, mais également les opérations de paix en Afrique. N’oublions pas qu’il n’y a pas très longtemps, le gouvernement mauricien avait été partie prenante dans le dossier des pirates somaliens en répondant favorablement à la proposition de l’Union Européenne de juger sur son territoire 12 d’entre eux interpellés dans l’océan Indien.

Cela signifie que notre pays n’a guère d’autres choix que d’exploiter à fond la carte régionale sur le dossier alimentaire, en prospectant avec nos partenaires économiques les possibilités en vue d’atténuer la pression alimentaire. Mais, l’exploitation soutenue du secteur agro-alimentaire africain ne peut aboutir qu’avec le soutien des pays amis de l’Afrique, la Chine et la Russie étant en première ligne depuis ces dix dernières années. Mais reste à savoir comment se présentera la nouvelle configuration économique et politique en Afrique à la sortie de la guerre en Ukraine. Cette question intéresse l’ile Maurice au premier plan compte tenu des nombreux accords passés entre la Chine et Maurice.

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