« Grounded », battre des ailes, atterrissage forcé, turbulences, « Mayday », crash, décollage raté, autant de termes dans le jargon de l’aviation dans des situations préoccupantes, des moments de détresse. Les Mauriciens, qui sont familiers de ces mots porteurs de drames et de catastrophes (pour les avoir souvent entendus dans les films ou des émissions), sont atterrés par la mise en administration volontaire de notre compagnie nationale, celle qui fut pendant longtemps considérée comme le fleuron, la fierté du peuple. Comment Air Mauritius a pu en arriver là, à ce point qui effleure dangereusement avec le non-retour?Plutôt que d´admettre l’échec, ceux qui étaient aux commandes continuaient à faire vivre un processus devenu comateux. Un coma qui arrangeait une seule partie, les « jalsamen » qui n’avaient que faire du sort des milliers d’employés, de l’équilibre de la compagnie. Ajoutons à cela, la politisation à outrance et nous nous sommes retrouvés au fil des années avec un cocktail explosif et aujourd’hui les déflagrations révèlent des dégâts énormes. D’abord, empressons-nous d’ajouter que le « hedging fund » sous le PTR a lourdement contribué à administrer un coup de massue à MK. Donc, que certains (pyromanes se déguisant en pompiers) cessent de se poser en donneurs de leçons. Tous coupables !
Faute de bonne conscience, faute d’engagement, faute de volonté forte, faute de bousculer la bureaucratie et la technocratie, la crise a pesé de tout son poids et fait plier et paralyser les ailes. Dans le secret des alcôves, nos dirigeants savaient donc à quoi s´en tenir et leurs discours sur un quelconque redécollage n´étaient qu´un artifice, un apaisement offert à peu de frais. Ils savaient tout aussi parfaitement quels sont les responsables de la faillite, d´un processus engagé il y a plus de 20 ans. Sachant pertinemment de quoi il retourne, tous ceux dans le cockpit n´en continuaient pas moins de faire mine, d’œuvrer pour un miracle. Du n´importe quoi. Mais au préjudice de qui? De ces pauvres milliers d’employés innocents, qui n´en continuent pas moins de croire que la sauvegarde de leur gagne-pain viendra du sommet politique.
Dans la logique des incohérences, nous devons nous interroger sur l’attitude de tous ceux qui se sont succédés, qui avaient et ont des pouvoirs décisionnels, la compagnie nationale étant en éternelle perfusion de l’argent public depuis des années, Ces injections d’argent, qui auraient dû aboutir à une reprise, un redressement n’ont rien donné. Maintenant, la situation critique est telle qu’elle ne cache pas le scénario pour ne pas sombrer définitivement; cet état des lieux ne nous demande pas « de nos larmes », mais de l’ingéniosité, de la transparence, des sanctions et d’énormes sacrifices. Les « commandants de bord » devront prendre l’exemple des initiatives, du dévouement, qui ont permis de répondre à l’urgence sanitaire. Un déploiement qui est venu autant d’en bas que d’en haut, des travailleurs, des petites mains, médecins, soignants et des autorités.
Alors que les milieux patronaux trépignent devant le manque à gagner engendré par le confinement ; les autres font le maximum pour sauver des vies, une à une. Similairement, pendant que bon nombre au sein de la compagnie d’aviation nationale suaient eau et sang, d’autres sont restés obsédés par la poursuite de leurs affaires, leurs jouissances, leurs parts de cadeaux, de primes et d’avantages, les opérations de canapé, tous odieux, scandaleux !
Quel plan de sauvetage ? Les administrateurs ont 70 jours pour découvrir la potion magique. À brève échéance, se pose et s’impose un plan de relance qui se révèle plus complexe que la distribution d’allocations, des cadeaux, car il faut définir une politique de reprise et de relance qui risque de s’enfermer dans la vision bureaucratique et semi-collectiviste de l’État. Il faudra avoir le courage et la lucidité de poser la question de l’implication dans ce crash de tous ceux qui ont réduit Air Mauritius à une peau de chagrin, une débandade. Ces personnages-là doivent partir. Les torts immenses qu’ils ont causé à la compagnie sont impardonnables et méritent des sanctions appropriées. Au contraire, de qui se moquera-t-on? Certainement, de la population. Une sortie de crise réussie suppose une mobilisation et solidarité nationales, la culture du devoir accompli, le retour au travail, une mobilisation citoyenne pour une rescousse capitale.
C´est sans doute en désespoir de cause et pour ne pas valider leur échec que des dirigeants reviendraient à cette absurdité, cette farce de prendre les mêmes pour repartir ; un pis-aller inadmissible. Dans une année, on verra les conséquences si les mêmes hommes retrouvent leurs sièges. Et, ces figures-là on les connait tous ; donc aucune excuse pour les vouer aux gémonies et les clouer au sol définitivement.
Dans un article du Figaro du 31 mars, la journaliste Bertille Mayart écrit ceci : « Au-delà des mesures immédiates – financement du chômage partiel, levée des obligations d’occupation des créneaux horaires de vol… – la plupart des grands États s’apprêtent à voler au secours de leurs pavillons nationaux. Un soutien qui peut prendre plusieurs formes. La première passe par le crédit. Oslo a ainsi envoyé une bouée de sauvetage à Norwegian, star déchue du low-cost long-courrier. Air France-KLM, l’Allemande Lufthansa, les compagnies américaines pourraient bénéficier de prêts de moyen terme garantis par leurs États respectifs. Les États-Unis ont prévu, dans le plan de soutien à l’économie américaine d’un montant de 2 200 milliards… »
Tout cela pour vous dire que Pravind Jugnauth a les cartes en main, mais il n’en sortira grandi que s’il impose des conditions rigoureuses, comme un nettoyage de fond en comble. Il n’est pas l’homme qui se contenterait de laisser « push the dirt under the carpet ». Mais, c’est une course contre la montre, il faudra pédaler en surmultiplier.
Raschid Meerun