April 26, 2024
Hennessy Court 3rd floor Sir John Pope Hennessy street Port-Louis
Opinion

On est foutus, on mange trop !

21 Juillet, journée mondiale de la malbouffe. Ou plutôt Junk Food World Day,le « joli » nom que les Américains lui ont donnée. Et qui désigne par ces termes « toutes les nourritures trop grasses, trop sucrées, trop riches, qui font le quotidien de l’américain moyen. » Nous n’avons pas encore d’obèses à l’américaine chez nous, mais c’est un fait que dans les années de « boom économique », nous en avons profité pour nous gaver de tout et de rien. Quand ce n’était pas du n’importe quoi.

D’ailleurs, les jeunes accrocs aux fast-food se souviennent même des longues queues qu’il y eut quand la première franchise américaine du genre, dont le nom dodu commence par K, fit son apparition dans la ville-lumière. Pour ensuite voler de ses ailes jusqu’à Port-Louis, et finalement se poser un peu partout dans l’île. Surtout là où il y a une concentration d’empires du « mall », qui attirent les clients-lucioles, les lumières brillantes de leurs commerces hypnotisant toujours ceux qui s’y rendent en masse.

La même chose se répéta quand l’autre franchise vint courtiser les bouches toujours gourmandes de mayo, de sauce-tomates et de frites. Il y eut même un début de guerre « religieux » avec un voisin dont la spiritualité se disait « gênée » par l’odeur du bœuf qui allait se répandre alentour. Mais comme partout ailleurs, la franchise s’installa et comme la poulette du Colonel, et se propagea elle aussi dans l’île. Si les jeunes furent toujours les premiers à fréquenter ce club de graisse gratuite, les mauvaises langues prétendent que pour éviter des dénouements amoureux malheureux, beaucoup de maris, compagnons ou concubins durent emmener leurs dulcinées s’attabler dans cette marque. S’y afficher était considéré comme un signe extérieur de « richesse » du ventre !

Et fort de cette nouvelle arrogance, le Mauricien « moderne » délaissa le « manze lakaz », qui était équilibré et cuit avec amour et passion par maman ou grand-mère. Et comme les capita- listes savent toujours comment faire fructifier leurs business, les gymnases commencèrent à montrer leurs muscles. Car, après avoir mangé de la « junk food », il fallait bien maintenant « kas vant ». Aujourd’hui, il n’y a pas une région qui n’ait pas son gym, indoor, et même outdoor !, et même les compagnies du privé investissent dans le secteur du « bien-être », du wellness. Le Premier ministre n’avait-il pas récemment inauguré un gymnase dédié aux fonctionnaires ? Sûrement pour qu’ils se rappellent d’arriver à 9h00 pile au bureau et de ne partir qu’à 16h00 ?

En parlant de rappel, qui ne se souvient de ce rapport commandité par le ministère de la Santé, sous un régime précédent, et qui recommanda l’abolition des « dholl puris», rotis et autres « gato delwil »,très prisés par les Mauriciens, mais qui nous faisaient entrer en haut du classement des pays au fort taux de diabète ? Cette prévalence n’empêcha pourtant pas que les conclusions du rapport soient « gelées »,et le document rangé dans un tiroir. Une des recommandations préconisait que ces « gâteries » soient interdites dans les cantines scolaires, tant primaires que secondaires. Voire universitaires. Mais étant au pays des lobbies, tout fut oublié et nous continuons donc à consommer allègrement ces produits farinés et huileux, qui cultivent notre paresse et enrichissent encore plus notre diabète.

J’emprunte le titre de cet édito au formidable Alain Souchon, venu chanter une fois au Plaza. Il mettait en garde mais tout le monde ne l’écoute pas. Tout comme cet édito ne fera aucun effet sur la présence des franchises chez nous. On va manger chez qui on veut, non ? Que ce soit Pierre, Jacques ou Paul ! Et puis quoi encore ? Ira-t-on jusqu’à interdire les émissions de cuisine à la télé ? Tout le monde fait ça ailleurs, et on doit bien suivre la « tendance ». Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, et cyniquement je n’évoquerai pas l’auberge rouge tenue par un certain Fernand Contandin, mais le massacre est programmé. La malbouffe tient les Mauriciens par sa laisse.

Et si on pensait que la guerre entre l’Ukraine et la Russie allait faire réfléchir les Mauriciens, et les amener à penser aux bienfaits du « batat-maniok », on s’est tous trompés. De toute façon, on a tellement bétonné qu’il n’y a plus d’espaces pour se faire un petit jardin. Nous restons donc importateurs de tout ce que nous aurions pu produire en toujours grande quantité chez nous, si là encore des terres agricoles n’avaient pas été converties en malls, en villas et en hôtels. Quand elles n’étaient pas carrément distribuées aux petits copains politiques. Tout cela ne date pas d’aujourd’hui, mais se perpétue hélas encore. Nous nous tuons donc à feu doux, le gril de notre fin de vie étant allumé depuis trois décennies au moins.

J’allais oublier les pesticides et les insecticides, les deux mamelles qui arrosent tout ce qui se consomment par les gourmands. Et qui donnent du cancer à gogo. Si le Covid a mis un peu de distanciation physique entre les franchises et les Mauriciens pendant ces deux dernières années, la disparition « temporaire » du monstre a fait sortir les affamés de leurs tanières. Et tels les zombies de George Romero, on a les revus accourir vers leurs enseignes préférées. Arrosant leurs menus de ces bons vieux sodas qui donnent soif.

Non, vraiment, nous ne sommes pas sortis de l’auberge de la malbouffe !

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