April 25, 2024
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Marée noire dans le Sud : ces jeunes Mauriciens au front

La mobilisation ne faiblit pas. Depuis le déversement d’huile lourde dans la mer à Pointe-d’Esny, souillant les lagons du Sud et une partie du Sud-Est, petits et grands, ONG et entreprises du secteur privé sont à pied d’oeuvre pour tenter d’endiguer la marée noire, la pire catastrophe écologique que Maurice ait connue. Parmi les volontaires, beaucoup de jeunes Mauriciens. Nous leur avons donné la parole.

C’est «as one people, as one nation» que les Mauriciens des quatre coins du pays affluent dans le Sud depuis que le MV Wakashio a commencé à vomir de l’huile lourde dans le lagon de Pointe-d’Esny, jeudi 6 août. La marée noire s’est rapidement propagée à diverses régions.

S’il y a eu beaucoup de reproches sur l’immobilisme des autorités concernées, les Mauriciens de tous âges se sont, eux, retroussés les manches et sont à pied d’oeuvre pour contenir la propagation des hydrocarbures dans les lagons du Sud. Petits et grands, malgré les risques pour leur santé d’une exposition prolongée à ces substances, dont la forte odeur nauséabonde, ont mis la main à la pâte pour collecter de la paille de canne afin d’en faire des boudins pour absorber l’huile lourde.

ONG et entreprises du secteur privé participent à cet effort collectif. Des femmes de tous âges ont, de leur côté, volontairement donné leurs cheveux. Ceux-ci serviront à faire des boudins, une technique très efficace pour absorber les matières polluantes.

Cette mobilisation n’a pas faibli. A hier, ils étaient toujours nombreux dans les régions affectées, notamment Mahébourg, Bois-desAmourettes, La Chaux et Blue-Bay, tentant de contenir la propagation des hydrocarbures. Parmi les volontaires sur le terrain, nous retrouvons beaucoup de jeunes. Mazavaroo leur a donné la parole.

Mégane, 18 ans : «La solidarité est belle à voir»

Bénévole à Mahébourg, cette élève du collège Lorette de la localité dit avoir été touchée par la catastrophe. «J’ai grandi à Mahébourg. Lorsque je suis dans le bus pour me rendre à l’école, je vois cette vue magnifique.»

Cette habitante de Tyack est sur place depuis vendredi. «J’ai commencé par me couper les cheveux. Fatiguées ou pas, ma sœur, ma tante, ma maman et moi venons aider.» Depuis la fin de la semaine dernière, la jeune fille aide à coudre et transporter les boudins afin de tenter de stopper la propagation de l’huile. «Avec l’aide de tout le monde, ça avance. Je suis partie en mer pour enlever les boudins», déclaret-elle fièrement. La mobilisation citoyenne, la solidarité, lui font chaud au coeur. «C’est très beau à voir», lance-t-elle.

Ivana, 15 ans : «Impressionnant de voir ces femmes soulever les boudins de paille»

Cette jeune habitante de Rose-Belle a, elle aussi, volontairement sacrifié ses cheveux. L’adolescente, qui étudie au collège Lorette de Mahébourg, dit ne rien regretter car c’est pour la bonne cause. «C’est une bonne expérience et une nouvelle étape pour moi. Je suis fière de moi, car je ne m’étais jamais coupé les cheveux avant. Je suis partie à Eurospa, à Mahébourg, pour déposer mes cheveux», souligne Ivana

Depuis samedi, elle est à pied d’oeuvre à la plage de Mahébourg, de 9 heures à 17 heures, pour fabriquer des boudins de paille. «C’est fou la solidarité féminine. C’est hyper impressionnant de voir ces femmes soulever des boudins qui pèsent des tonnes. Les bouées de paille imprégnées d’huile sont enlevées pour être remplacées par des boudins frais.» Des liens se tissent à travers cette solidarité. Elle déplore toutefois l’attitude de certaines personnes. «Elles ne viennent que pour le “divertissement”. Elles ne font que ‘vey zafer’ en se croisant les bras !»

Keccy, 16 ans : «Il y a beaucoup à faire»

«J’ai été choquée par la nouvelle. Lorsque je suis venue pour la première fois samedi, il y avait une odeur nauséabonde et j’avais du mal à respirer», relate Keccy, 16 ans. L’habitante de Rose-Belle a spontanément sacrifié sa chevelure et dit n’avoir aucun regret. «Je l’ai fait pour une bonne cause. Tout le monde est en train de bosser», souligne la collégienne. Il y a beaucoup à faire, fait-elle comprendre. «Chacun fait ce qu’il peut, il y a différentes tâches à faire comme coudre les boudins, attacher les bouteilles, mettre de la paille dans les boudins», partage-t-elle.

Bradley, 22 ans : «On est là 13 heures par jour»

Ce Mahébourgeois de 22 ans se rend à la plage de la localité depuis samedi pour donner un coup de main. «Plus de 500 personnes viennent prêter main-forte pour sauver nos plages. On construit des boudins. On est là pendant 13 heures chaque jour, nous faisons aussi le tri des bouteilles et on ramasse des débris sur la plage», dit le jeune homme.

Un policier : «Les bénévoles font un travail formidable»

C’est sous le couvert de l’anonymat que ce policier a tenu à témoigner. Il affirme que les bénévoles font un travail formidable. «Nous assurons la sécurité», fait-il valoir. Il explique que seuls les volontaires «ki pe donn koudme ki gagn drwa vini». Les services essentiels sont aussi présents. «Il y a aussi les camions qui viennent déposer la paille.»

«Un accompagnement médical pour les frontliners»

Le collectif Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL) est présent, aux côtés d’autres ONG, dans les régions affectées depuis la semaine dernière. L’activiste écologique Carina Gounden met l’accent sur l’importance de préserver la santé des volontaires actifs sur le terrain. «Les volontaires font ce qu’ils peuvent. C’est au ministère de la Santé de faire un monitoring. Les frontliners doivent bénéficier d’un accompagnement médical. Il faut aussi qu’il y ait un accompagnement médical dans les villages sinistrés», fait-elle ressortir.

La jeune femme sait de quoi elle parle ; elle a, elle-même, été affectée par l’exposition à l’huile lourde dans le lagon. «Je me suis trop exposée aux substances chimiques et j’ai des problèmes respiratoires. Je souffre aussi d’un desséchement de la peau», confie-t-elle. Raison pour laquelle, depuis mardi, elle coordonne les opérations à distance. Néanmoins, Carina Gounden applaudit ceux qui sont à pied d’oeuvre matin et soir.

La détresse des pêcheurs

La colère et le désespoir animent Judex Rampaul, du Syndicat des pêcheurs. «Delwil-la pe propaze a enn vites extra.» Il n’en démord pas : «Lasirans Wakashio bizin kouver tou, ki so bayan, ki so peser, ki so abitan. C’est un cas sérieux !» D’autant que c’est le gagne-pain des pêcheurs qui est directement affecté. «Se nou lamer sa, nou bizin pran enn kont.»

Judex Rampaul souhaiterait que les pêcheurs de l’île aient un transport à leur disposition pour qu’ils puissent eux aussi mettre la main à la pâte. «Ena peser ki res lwin, li pa evidan», fait-il comprendre.

Benjamin, pêcheur à La Chaux, souligne que depuis le 26 juillet, il ne peut se rendre en mer. Il se retrouve dans une situation financière délicate alors qu’il a une famille à nourrir. «Kouma mo pou swagn mo fami ? Ena enn ta peser kouma mwa, ena ki pe plore parski zot pa kone kouma pou swagn zot fami», lâche-t-il.

De son côté, Miguel, un pêcheur de 36 ans, se dit accablé. La situation, martèle-t-il, est critique. «La plupart des pêcheurs n’ont pas leur permis. Nous n’avons pas le droit de pêcher.» Il y a urgence de nettoyer la mer, poursuit-il. «Nou lamer bizin met prop parski samem nou gagne-pain.»

«Les espèces dans cette zone sont toutes condamnées»

L’écosystème marin ne sera pas épargné. D’ailleurs, soutient Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur en environnement, «beaucoup de plantes endémiques, coraux, poissons ainsi que des sites Ramsar sont déjà affectés par les hydrocarbures du MV Wakashio». Il explique qu’un site Ramsar est une zone humide désignée comme étant d’importance internationale en vertu de la Convention de Ramsar.

«Quand les produits pétroliers se mélangent avec l’eau salée, cela s’appelle l’émulsion. Cela affecte généralement l’oxygène qui se trouve dans l’eau», indique Vassen Kauppaymuthoo. Il avertit que ces produits pourraient descendre au plus profond de l’océan et affecter les espèces qui vivent sous le sable. «C’est aussi dangereux pour les humains, ceux qui aident à enlever le pétrole, c’est toxique cela pourrait engendrer de graves problèmes respiratoires», met en garde l’océanographe.

Le pire, c’est que cette catastrophe pourrait durer une décennie, voire 20 ans. «Les espèces se trouvant dans cette zone sont toutes condamnées, elles ont très peu de chance de survivre, il y aura des dégâts irréversibles», déplore-t-il. Citant le cas de Blue-Bay, Vassen Kauppaymuthoo confie que les coraux qui ont plus de 1 000 ans prendront au moins 1 000 autres années pour se reconstruire si jamais ils sont affectés par cette fuite d’huile. Blue-Bay, dit-il encore, compte 38 espèces de corail, 72 espèces de poissons ; l’expert lâche avec désolation que la plupart ne survivront pas.

Par ailleurs, l’océanographe et ingénieur en environnement ajoute qu’il y a deux types de pétrole qui circulent dans nos lagons. «Il y a un, qui est épais et noir, et l’autre, plus léger, qui voyage plus et qui est même arrivé jusqu’à l’Ile-aux-Cerfs.»

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Appel aux dons : le gouvernement ouvre un compte spécial

Dans le sillage de la catastrophe écologique dans le Sud et le Sud-Est, le gouvernement a décidé d’ouvrir un compte bancaire, sous le Prime Minister’s Relief Fund. Ces fonds serviront à «couvrir les dépenses encourues pour atténuer l’impact sur l’environnement dans la région et assister ceux affectés par cet incident», est-il indiqué dans un communiqué en ce sens, publié hier.

Ceux qui souhaitent contribuer peuvent le faire au numéro de compte suivant : 50300000638933, portant le nom «Prime Minister’s Relief Fund – Special Bank Account – MV Wakashio». Ils peuvent soit effectuer un transfert bancaire au code IBAN