April 25, 2024
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Opinion

Du danger caché dans la parole et l’écrit…

On peut avoir toutes les bonnes intentions du monde, et quand même faire du mal à ceux qu’on veut aider. Qu’on se rappelle des années 80/90, quand on parlait des « recalés » du Certificate of Primary Education. Avec le système éducatif mauricien qui ne tient aucunement compte des vrais potentiels d’un enfant, il était de bon ton de parler de ceux qui ne passaient pas le cap du CPE comme des « rejects ».

Et tout le monde, l’Etat, l’Eglise catholique, les travailleurs sociaux, le secteur privé, et la presse, y allait de leur petit refrain pour venir en aide à ces jeunes, rejetés par un système cruel qui perdure encore. Et qui fait chaque année des victimes qui finissent drogués, prisonniers ou dans un cimetière. Faute d’avoir eu la chance de montrer la face cachée de leur talent. Car, on peut avoir failli académiquement mais devenir un bon artiste ou un bon travailleur manuel. Mais l’école ne tient pas compte de ce besoin de seconde chance pour tous.

Présentement, c’est le terme « low cost » qui s’est incrusté dans le vocabulaire quotidien. L’Etat construit des maisons « low cost », et la presse s’approprie ce mot, qui sera répercuté partout. Sans qu’on se rende compte qu’on est en train d’humilier ceux qu’on veut aider. Pourquoi estce difficile pour les fonctionnaires du ministère du Logement de dire que l’Etat construit des maisons ? Pourquoi faut-il ajouter cet humiliant « low cost », qui dégrade encore plus ceux qui y habiteront ?

C’est justement pour réparer ce genre d’erreur que les cités sont devenues des résidences. Car, il y avait un côté péjoratif et laid associé à ce terme. Et si dans les résidences habitent des gens on ne peut plus normaux, il était, là encore, de bon ton d’associer « dimoun site » à toutes sortes de pratiques malsaines, alors que beaucoup d’habitants de ces endroits gagnent leurs vies honnêtement.

D’ailleurs, si un trafiquant de drogue est arrêté dans un quartier chic, dans n’importe quelle ville ou village du pays, ce quartier restera toujours huppé aux yeux des autres. Mais il suffit que l’ADSU débarque à Karo Kalyptis et c’est tout un quartier qui est stigmatisé pour la vie ! Il y a donc un besoin urgent de bien réfléchir avant d’utiliser un mot. Dans le champ politique par exemple, ses acteurs et actrices ont oublié qu’il n’y a que la race humaine, et les listes électorales, compilées par la Commission Electorale font encore état de communautés. Et on peut se demander s’il n’est pas discriminatoire que le judiciaire n’ait pas pris position en faveur de Rezistans ek Alternativ, qui ne demandait que le terme Mauricien pour ses candidats. Il aurait été intéressant de savoir ce que pensent les Law Lords du Privy Council sur ce mépris affiché envers ceux qui se disent Mauriciens !

Si on remonte encore plus dans le temps, avant le terme « Chagossien », il y avait les « Ilois ». A priori, s’il définissait des habitants de l’archipel des Chagos, à terme la connotation « exotique » finissait par le vider de tout son sens. Chagossien dit bien l’essentiel de ce qui se rapporte à ce peuple de déracinés.

En fait, partout dans le monde on prend de plus en plus conscience des dangers cachés au sein même de la parole et de l’écrit. Aux Etats-Unis, le terme « nigger » dans les films de Quentin Tarantino avait fait grand débat. Et si certains journaux persistent à obéir à la dialectique Sioniste, en présentant les Palestiniens comme des « terroristes », la presse commence enfin à parler de la mort de Palestiniens. Refusant de faire le jeu d’Israël.

Il y a tout un travail à faire. D’abord sur soi-même. Et cela passe par la maison, où il est important d’apprendre aux enfants à ne jamais prendre tel ou tel terme pour acquis. Même s’il est utilisé dans la cour de récréation. La deuxième étape, c’est l’école bien sûr. Lieu de tous les extrêmes, qui définira ce que deviendra l’enfant, il est important d’évacuer du vocabulaire tout ce qui peut influencer la raison. Dire d’un jeune qu’il est « lauréat », c’est déjà le mettre sur un piédestal, alors que ses autres camarades seront tenus de rester loin du podium.

Après l’école, ce sera le travail et ensuite le grand saut dans la vie. Si le crâne d’un enfant a été bourré de termes péjoratifs, humiliants et dégradants, il n’aura donc que le choix d’être très imbu de lui-même, ou de devenir empathique.

Sans le savoir, nous aidons donc à compartimenter la société. Avec les bons d’un côté, et les « recalés » parqués dans les « cités » et les maisons « low cost ». Et nous, nous verrons les bons films, liront les grands écrivains et auront de beaux enfants. Tandis qu’eux auront droit aux « navets », aux écrivassiers et aux bandits. Nous sommes les premiers fautifs si le monde reste divisé en catégories. Car, dans notre parole et notre écrit se trouvent les armes qui tueront tout espoir de vivre pour certains !

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